L’École de Calgary, une expression utilisée pour la première fois en 1996 par le chercheur David Rovinsky, désigne un groupe de penseurs en sciences sociales dont fait partieThomas Flanagan qui, selon Frédéric Boily, jouerait dans l’ombre le rôle de mentor politique du premier ministre. Dans la droite ligne des néo-conservateurs américains, ces intellectuels entretiennent une méfiance à l’endroit des institutions parlementaires et du pouvoir central. Ils considèrent que l’État n’a pas à trop dépenser en intervenant dans la vie du pays, mais qu’il devrait se concentrer sur certaines tâches, notamment la sécurité des biens et personnes et la politique étrangère. Anne Boerger , qui enseigne l’histoire au Campus Saint-Jean de l’Université d’Alberta, signe un chapitre dans l’ouvrage collectif, intitulé: «Rendre au Canada sa puissance». «Il n’est pas question pour le nouveau premier ministre de ménager la chèvre et le chou, selon un principe de neutralité soi-disant canadien, écrit-elle. Harper et l’École de Calgary partagent en fait la conviction que le Canada se doit de «choisir son camp» dans un monde en blanc et noir.» Selon cette vision, le partenaire naturel du Canada se trouve juste de l’autre côté de la frontière et il faut donc renforcer les liens avec les États-Unis.
De la théorie à la pratique
Le passage de Stephen Harper à l’Université de Calgary correspond à la montée du Reform Party, dont les membres sont persuadés que l’Ouest n’est pas entendu par les élites d’Ottawa. Comme l’École de Calgary, ce parti juge trop important le pouvoir des juges de la Cour suprême par rapport à celui des députés. Justement, fait remarquer Frédéric Boily, une des premières actions de Stephen Harper comme premier ministre concerne la réforme du processus de nomination de ces magistrats, qui doivent désormais comparaître devant un comité où ils se prononcent notamment sur leurs valeurs sociales. Harper prend ensuite ses distances vis-à-vis de la politique étrangère menée par les Libéraux, puisque selon la vision conservatrice le Canada était devenu «une nation de boy-scouts».
Autre exemple de l’influence néo-conservatrice de l’Ouest sur les priorités du chef du gouvernement: les coupures dans le secteur culturel. «Selon cette école de pensée, l’État n’a pas à intervenir dans ce domaine, souligne Frédéric Boily. Si les artistes sont bons, le marché va faire en sorte qu’ils pourront subvenir à leurs besoins.» Selon les intellectuels albertains, il faut en finir avec un État paternaliste de type État-providence, et le recentrer sur sa mission première, assurer l’ordre et la paix sur le territoire. Frédéric Boily pointe du doigt la proposition conservatrice concernant le durcissement des sanctions envers les jeunes contrevenants comme illustration de cette philosophie. Constatant la montée de la criminalité dans des villes comme Vancouver, Calgary et Edmonton, une bonne partie des citoyens de l’Ouest approuvent le geste. Ce type de mesures proposées indique aussi d’une certaine façon la transformation du Parti Conservateur ces dernières années. Comme l’écrit le philosophe politique Benoît Miousse, dans le livre: «Il semble bien que la rature du terme «progressiste » ne soit pas qu’un hasard, et qu’une nouvelle politique conservatrice ait vu le jour». De la même façon que l’activité économique du Canada se concentre désormais dans l’Ouest, l’idéologie semble aussi s’être déplacée. Autrement dit, le «Torysme à la Joe Clark» semble moins de mise depuis la fusion avec l’Alliance canadienne, davantage à droite sur l’échiquier politique.
Comment expliquer, dans ces conditions, la popularité des Conservateurs au Québec, même si le Bloc semble remonter dans les intentions de vote? Pour répondre à cette question, Frédéric Boily rappelle la présence persistante d’un courant conservateur québécois, qui s’exprimait par le vote créditiste et, avant, par celui en faveur de Maurice Duplessis. Avec le recul de l’option nationaliste et l’effondrement des Libéraux dans la foulée du scandale des commandites, des électeurs s’intéressent davantage au Parti Conservateur. D’autant plus que Stephen Harper parle de la nation québécoise et prône un fédéralisme d’ouverture. «Il y a peut-être une certaine incompréhension concernant ce terme, souligne le chercheur. Il pense, je crois, à une ouverture envers toutes les provinces, et pas seulement envers celle du Québec. L’Alberta, par exemple, serait d’accord pour jouer un plus grand rôle dans les forums énergétiques. Le jeu politique ne se réduit donc plus à deux joueurs, Québec et Ottawa.»