8 octobre 2025
«Il faut s'assurer d'avoir une défense robuste, résiliente et dissuasive»
Selon la générale Jennie Carignan en visite à l'Université Laval, les Forces armées canadiennes entreprennent une transformation majeure, jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale

La cheffe d'état-major de l'armée canadienne, Jennie Carignan, au Théâtre de la Cité universitaire, le 7 octobre. Dans l'histoire des Forces armées canadiennes, elle est devenue la première femme à commander une unité de combat.
— Yan Doublet - Université Laval
«Nous sommes en plein changement. Le contexte géopolitique est volatile, incertain, chaotique, ambigu.» C'est en ces mots que la générale et cheffe d'état-major de l'armée canadienne, Jennie Carignan, a décrit l'ordre mondial actuel. Elle a fait cette déclaration à l'occasion de la rencontre annuelle des Grandes Conférences Brian-Mulroney, organisées par l'École supérieure d'études internationales (ESEI) de l'Université Laval, le 7 octobre. L'invitée de marque a répondu aux questions du directeur de l'ESEI, le professeur Jonathan Paquin.
«On observe la convergence de plusieurs menaces militaires, accélérées par la technologie, a-t-elle expliqué devant une salle comble au Théâtre de la Cité universitaire du pavillon Palasis-Prince. On peut penser à différents types de missiles qui peuvent atteindre notre territoire. On ajoute la dimension de guerre hybride, sous le seuil du conflit, avec le survol de territoires par des drones. Il y a deux ans, un ballon de haute altitude a survolé le Canada. Mentionnons aussi la désinformation qui affaiblit les institutions démocratiques. Toutes ces menaces nous forcent à réagir.»
Selon elle, il est clair que le modèle pour les forces armées canadiennes, qui avait cours depuis 35 ans, n'est plus adéquat. «Il faut s'assurer d'avoir une défense robuste et résiliente, a-t-elle soutenu. Une défense qui soit dissuasive.»

La générale Jennie Carignan a répondu aux questions du directeur de l'École supérieure d'études internationales, Jonathan Paquin.
— Université Laval, Yan Doublet
Un budget militaire en pleine expansion
En juin dernier, le gouvernement du Canada s'est engagé à augmenter le budget annuel de la Défense de 9 milliards de dollars. Ce faisant, le Canada rejoindrait la cible fixée par l'OTAN à 2% du produit intérieur brut (PIB) des pays membres. Le budget total de la Défense s'élèverait donc à 62 milliards de dollars. Par ailleurs en juillet, les pays membres de l'OTAN se sont engagés à augmenter leur budget militaire à 5% de leur PIB d'ici 2035. Pour le Canada, cela représenterait des dépenses militaires pouvant aller jusqu'à 150 milliards.
«Dans ma perspective, a souligné la générale, le défi présent consiste, avec ces investissements, à effectuer une transformation majeure jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale. De façon générale, nos services sont en transformation. On vient juste d'accueillir la garde côtière. Nos forces spéciales sont en pleine transformation.»
Rapprocher les industriels des militaires
Il y a quelques jours, le premier ministre Carney a lancé la nouvelle Agence de l'investissement pour la défense. Le même gouvernement planche actuellement sur une politique de défense destinée aux entreprises canadiennes. Jennie Carignan voit là un potentiel énorme qui permettra de faciliter le travail des militaires. «En temps de paix, a-t-elle rappelé, il faut parfois 10 ans pour mettre au point une capacité militaire. Il serait impossible de réussir, face aux défis actuels, avec de tels processus.»
Selon elle, il faudra concentrer l'énergie sur les capacités souveraines au Canada, comme la construction de bateaux, notamment les brise-glace. «Il faut avoir accès à l'Arctique pour imposer notre souveraineté», a-t-elle affirmé.
Les domaines industriels militaires sont multiples. Les drones, un secteur en plein essor, l'intelligence artificielle, la physique quantique, le spatial, l'aéronautique, les munitions en sont des exemples.
«Des pays alliés pourront aussi nous fournir des équipements de pointe, a-t-elle poursuivi. Cet été, le gouvernement a signé un contrat avec l'Australie pour un système radar transhorizon. Une fois installé en 2028 dans l'Arctique, il permettra de détecter les missiles hypersoniques. Nous achèterons aussi des sous-marins qui répondent à nos besoins. On regarde du côté de l'Europe et de la Corée du Sud.»
Une présence renforcée dans l'Arctique
«Que peut-on faire en 2025 pour assurer la défense d'un immense territoire comme l'Arctique canadien?» a demandé le professeur Paquin. Jennie Carignan a répondu qu'on trouve 4000 rangers déployés dans 61 communautés de l'Arctique canadien. «L'armée canadienne a une présence permanente là-bas, a-t-elle indiqué. Parallèlement, nous conduisons des exercices de souveraineté auxquels viennent s'intégrer des Européens, des Coréens, des Japonais.»
Selon elle, l'idée derrière la protection de l'Arctique consiste à pouvoir mettre en place plusieurs couches de surveillance. «Les satellites font partie de ça, a-t-elle poursuivi. Tout comme l'extension des pistes d'atterrissage et l'ajout de bateaux de la garde côtière. Beaucoup de choses s'en viennent d'ici 10 ans avec les communautés existantes, la combinaison de technologies et la capacité militaire à se projeter. Autre chose: la fonte du pergélisol due au réchauffement du climat. Cela amène des défis additionnels.»
Les Grandes Conférences Brian-Mulroney
Ce cycle de conférences vise à mettre en lumière des personnalités éminentes du domaine des relations internationales et porte le nom de l'ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney, pour célébrer son parcours exceptionnel. Cette édition était présentée par Bombardier, en collaboration avec le ministère des Relations internationales et de la Francophonie, la Ville de Québec ainsi que Québec International.