7 juin 2024
Une perspective philosophique pour comprendre l’expérience de l’angoisse devant la mort
Malek Amiri, doctorant à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, étudie l’expérience face à la mort des personnes atteintes de cancer en soins palliatifs
La série Échantillons de la recherche raconte l'expérience de membres de la communauté étudiante en recherche. Ils partagent un aperçu de leur projet aux cycles supérieurs.
Durant huit mois, Malek Amiri a fait une immersion prolongée dans une maison de soins palliatifs pour y rencontrer des patients et comprendre comment ils vivent l'angoisse devant la mort. Avec une meilleure compréhension de ce phénomène, le personnel soignant sera en mesure de mieux accompagner les personnes en soins palliatifs.
Pour étudier cette expérience assez complexe, Malek a adopté la perspective du philosophe Martin Heidegger. «On retrouve certaines théories en sciences infirmières, mais elles risquent de fragmenter mon sujet d'intérêt, car elles se concentrent souvent sur un seul aspect ou une seule dimension de l'angoisse devant la mort, comme l'incertitude ou la souffrance. La vision de Martin Heidegger est assez complète. Elle décrit l'angoisse devant la mort comme une prise de conscience de notre finitude», explique le doctorant, aussi ambassadeur des cycles supérieurs de sa faculté.
Selon la perspective heideggérienne, l'angoisse face à la mort prend essentiellement deux états : l'inauthenticité et l'authenticité. «Dans le premier état, la personne en soins palliatifs aborde la mort au on, à l'impersonnel. "On meurt un jour… " La mort est donc réduite à un événement qui se produit quotidiennement et banalement dans la société. Mais avec le temps et le surgissement de l'angoisse, la personne réalise qu'elle doit prendre en charge sa propre finitude et que la mort la concerne, passant plutôt au je, dans le second état».
Dans l'inauthenticité, les patients éprouvent des craintes, comme la peur de la solitude, de l'inconnu après la mort ou d'être un fardeau pour ses proches. Pour les patients qui ont atteint l'état d'authenticité, c'est davantage un sentiment de paix, de sérénité et même d'espoir.
Ce passage entre les deux états est unique à chaque personne. «On ne doit pas le forcer, mais on peut l'accompagner», souligne le doctorant. En décortiquant l'expérience vécue par les personnes en soins palliatifs, le personnel soignant pourra adapter sa façon d'accompagner cette clientèle. «Si la personne est plus dans l'inauthenticité, c'est important de l'aider à exprimer ses peurs. Par exemple, si le patient craint la solitude, le personnel pourra orienter ses interventions en conséquence. Si la personne est dans l'authenticité, c'est possible de l'aider à évoluer dans son cheminement et à maintenir cet état. Il faut toutefois respecter le processus, sans brusquer le patient», explique Malek, qui est membre du Comité étudiant du Réseau québécois de recherche en soins palliatifs et de fin de vie.
Une expérience humaine marquante
Le doctorant souligne que les projets existants sur le sujet sont souvent quantitatifs et mettent de côté l'expérience humaine en utilisant des questionnaires génériques sans s'intéresser au vécu des patients. C'est pourquoi il tenait à aller sur le terrain.
Au fil de sa recherche, dirigée par le professeur Nicolas Vonarx et codirigée par le professeur et philosophe Christophe Perrin, il a rencontré au moins une vingtaine de personnes en soins palliatifs. Il a enregistré des entrevues individuelles et pris des notes sur plusieurs rencontres. «Plutôt que de prendre une heure, j'ai fractionné les entrevues en périodes de 10 ou 15 minutes pour éviter de fatiguer les patients ou de susciter des émotions difficiles», précise-t-il.
Malek rapporte que c'était la première fois que plusieurs patients abordaient cette angoisse devant la mort. Nombre d'entre eux l'ont remercié pour son écoute et son intérêt pour cette expérience. «L'un des patients m'a dit que nos discussions l'avaient aidé à parler ouvertement avec sa conjointe et à se rapprocher d'elle. Il lui avait écrit un poème, que j'ai encore avec moi, raconte-t-il. Une autre patiente a demandé à me rencontrer une dernière fois avant l'initiation de la sédation palliative continue pour me dire que j'avais marqué sa vie. Je lui avais d'ailleurs écrit une pensée personnalisée qui a été lue à ses funérailles.» Ces pensées, Malek en écrivait pour plusieurs personnes et elles étaient toujours appréciées.
En plus des entrevues avec les patients, Malek avait préparé des boîtes dans lesquelles le personnel soignant pouvait déposer des pensées et des réflexions liées au projet. Il a également sollicité l'équipe de soins durant sa collecte d'informations. «J'ai voulu analyser le vécu des patients, mais aussi le perçu avec la vision des employés, souvent deux membres de l'équipe de soins pour chaque patient, pour avoir un consensus et une vision complète de l'expérience étudiée.»
Le doctorant arrive bientôt à la fin de son projet et travaille sur l'analyse de ses données. Il aimerait réaliser un postdoctorat dans la même thématique en abordant le recours à l'aide médicale à mourir au Québec. «Parfois, l'angoisse devant la mort n'est pas bien comprise ou reconnue par le personnel soignant, ce qui peut amener le patient à envisager l'aide médicale à mourir comme une option», souligne Malek. Il ajoute que certaines personnes refusent d'aller aux soins palliatifs, souvent associés à la mort et à la fin de vie. «On doit travailler sur l'imaginaire social, continuer à démystifier les soins palliatifs et montrer tout l'accompagnement humain, et l'utilité des approches disponibles pour soulager la personne et l'aider à vivre dignement ses derniers jours.»
Parallèlement à sa recherche, Malek s'est engagé bénévolement à la maison de soins palliatifs durant la période de son immersion prolongée et y est maintenant employé à temps partiel. Il est responsable de la veille scientifique et de la valorisation de la recherche. Il monte, entre autres, des formations en s'appuyant sur les dernières avancées scientifiques et trouve des outils pour aider l'équipe de soins, dont un lié au risque d'usure de la compassion, qui peut se traduire par un sentiment d'impuissance ou une forte émotivité. «Aider et bien outiller l'équipe de soins, en collaboration avec la directrice générale et d'autres personnes, permettra à celle-ci de mieux accompagner les patients et leurs proches», précise Malek.