14 août 2024
La diète des vaches laitières a-t-elle un effet sur la transformation fromagère?
Maude Blouin, étudiante à la maîtrise en sciences des aliments, évalue comment un apport supplémentaire en gras chez la vache laitière influence les propriétés du lait et de sa transformation en fromage
La série Échantillons de la recherche raconte l'expérience de membres de la communauté étudiante en recherche. Ils partagent un aperçu de leur projet aux cycles supérieurs.
Maude Blouin a découvert une passion pour ce qui se cache derrière notre assiette lors d'un stage d'été dans l'équipe de Julien Chamberland, professeur à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation. Elle a adoré son expérience de recherche et décidé de poursuivre à la maîtrise dans la même équipe. «C'était une occasion en or de travailler avec lui.»
Son projet vise à évaluer l'effet de la supplémentation en gras chez la vache laitière sur les propriétés du lait et du fromage. «Depuis quelques années, plusieurs producteurs ont la volonté de modifier le profil en acides gras du lait pour améliorer sa qualité nutritionnelle. Il est riche en gras saturés, alors que le Guide alimentaire canadien recommande de privilégier les gras insaturés», explique Maude.
L'aspect concret de la recherche dans ce domaine a particulièrement attiré Maude. «C'est très appliqué, tu prends ton lait, tu fais ton fromage et tu l'analyses», résume-t-elle. Arrivée d'abord au baccalauréat en microbiologie avec une concentration en alimentation, elle s'est redirigée vers un baccalauréat en sciences des aliments. L'Université Laval est le seul établissement au Canada à offrir ce programme en français.
«Je suis tombée en amour avec la Faculté. Le personnel et les professeurs sont accessibles. Avec la petite taille des cohortes, on est comme une famille», raconte l'étudiante. Maude a d'ailleurs rencontré son conjoint lors de son stage d'été en 2021. Les deux passionnés d'aliments étaient voisins de «paillasses», nom donné aux tables de laboratoire.
Une recherche diversifiée
Durant la maîtrise, Maude a réalisé un projet qu'elle qualifie de «touche-à-tout», comportant autant du travail de laboratoire que de l'analyse, avec beaucoup de réflexion.
Ses travaux commençaient par une phase animale. Cette portion du projet était en collaboration avec des collègues du Département des sciences animales. Ils nourrissaient des vaches du Centre de recherche en sciences animales de Deschambault avec une quantité et un type de gras différents ajoutés à l'alimentation de la vache laitière. Maude vérifiait ensuite leur effet sur le lait et le fromage.
«La première journée, je recevais des bidons de lait que je pasteurisais. Je devais aussi standardiser les laits pour assurer une composition uniforme en gras et en protéines», rapporte Maude.
La deuxième journée, Maude s'attaquait à la transformation fromagère, dix kilos de lait pour environ un kilo de fromage. Elle préparait un fromage pour chaque type d'alimentation, qu'elle caractérisait durant les semaines suivantes. Pour une phase animale, ce cycle de transformation et d'analyses en laboratoire se répétait quatre à cinq fois.
La session suivante, Maude analysait les données récoltées pour voir si les fromages possédaient des propriétés différentes selon les traitements alimentaires. Elle retournait quelques fois au laboratoire parallèlement à son analyse pour regarder, entre autres, l'évolution de la texture des fromages après 30, 60 et 90 jours d'affinage.
Du cheddar au maasdam
Avec les bidons de lait de la première phase animale, Maude a fait du cheddar. Comme le lait était standardisé, elle ne voyait pas d'effet sur le procédé de transformation et les propriétés du fromage, même si la composition du lait cru, elle, changeait avec l'alimentation de la vache.
Elle a toutefois remarqué une différence au niveau des acides gras. Certaines bactéries ajoutées pour la fabrication du fromage dégradent la matière grasse lorsque le fromage vieillit et libèrent des acides gras. Maude les compare à des blocs Lego. «Ce sont les composants de base de la matière grasse. Avec l'alimentation de la vache, on vient changer des blocs, ce qui peut potentiellement changer la texture et les arômes des fromages», illustre-t-elle.
La deuxième phase animale étudiait spécifiquement l'effet du type de gras dans l'alimentation des vaches laitières. Elles recevaient une diète standard, sans supplément lipidique, ou enrichie avec un gras, soit l'huile de soya, riche en gras insaturés, ou l'acide palmitique, un acide gras saturé qui est le principal acide gras du lait.
Pour étudier les acides gras libres et la texture, Maude a opté pour du maasdam, un fromage semblable au suisse et à l'emmental. «Ce type de fromage requiert des ferments lipolytiques qui aiment particulièrement dégrader la matière grasse», précise-t-elle.
Comme avec le cheddar, Maude n'a pas observé de différence pour le procédé et les propriétés du fromage en fonction de l'alimentation. Elle a toutefois remarqué qu'après une centaine de jours d'affinage, le fromage contenait moins d'acides gras libres et présentait une fermeté réduite avec l'huile de soya.
Pour déterminer si l'arôme des fromages était modifié, elle a analysé les composants volatiles de l'aliment avec un appareil de chromatographie en phase gazeuse. L'instrument ne détectait aucune différence, mais Maude en goûtait une. Ce résultat a amené plus de questions que de réponses pour l'équipe qui devra poursuivre la recherche.
Vulgariser sa passion
Maintenant à la fin de sa maîtrise, Maude se tourne vers l'avenir. Elle souhaite poursuivre en recherche, mais une autre passion occupe ses pensées: la vulgarisation scientifique. Elle est d'ailleurs lauréate de la 31e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas grâce à son balado Que savez-vous vraiment sur le fromage et la vache laitière?.
«Les gens sont très déconnectés de leur alimentation. On mange sans vraiment se poser de questions sur les listes d'ingrédients ou les valeurs nutritives. Je veux rapprocher les gens de leur assiette, de leur alimentation», raconte-t-elle. Maude souligne aussi la désinformation liée à certains additifs alimentaires qui ont pourtant une grande utilité.
Un autre de ses sujets de prédilection: les réalités de la ferme. «Je veux mettre en lumière ce qui s'y passe, rencontrer les producteurs et parler de leurs conditions assez difficiles.» C'est ce projet qu'elle a présenté, en cinq minutes seulement, à la conférence ComSciCon en juin à Montréal. «Les autres participants m'ont confirmé qu'il y avait un intérêt et m'ont encouragée à aller plus loin.»
Elle aimerait éventuellement se joindre à l'équipe de direction scientifique du Centre d'expertise fromagère du Québec pour la formation des employés et des conseillers, mais aussi pour proposer des ateliers aux jeunes du primaire ou du secondaire afin de les sensibiliser aux enjeux de l'industrie. «Je pense que je peux avoir un impact concret à ce niveau-là.»