La série Échantillons de la recherche raconte l'expérience de membres de la communauté étudiante en recherche. Ils partagent un aperçu de leur projet aux cycles supérieurs.
Originaire de France, Flora Amill ne pensait jamais avoir l'occasion de travailler dans l'Arctique. La doctorante en biologie à la Faculté des sciences et de génie y a étudié le microbiote des ombles chevaliers, des poissons importants pour les communautés nordiques.
«J'ai toujours été intéressée par les microorganismes, alors quand j'ai pris connaissance du projet, j'étais motivée! C'était une chance de pouvoir aller dans le Nord durant mes études. Je savais que ça allait être génial comme expérience», rapporte Flora Amill, dont le projet s’inscrit dans le programme Sentinelle Nord.
Elle a passé deux semaines à la station de recherche de Cambridge Bay dans le Nunavut en 2018, puis encore en 2019. «J'y étais durant l'été, donc les conditions n'étaient pas aussi difficiles qu'en hiver. J'ai connu la toundra et des températures autour de 0 ℃, et non la neige avec des -40℃, rassure-t-elle. Ce qui était impressionnant, c'est qu'il faisait jour quasiment tout le temps.» Sur place, elle avait accès à un appartement et un laboratoire pour étudier les poissons, «le confort» ajoute-t-elle.
Une expérience enrichissante
Durant ses deux séjours, elle a eu la chance de collaborer avec Milla Rautio, professeure à l'Université du Québec à Chicoutimi et membre du Centre d'études nordiques et son équipe. «Je n'avais pas d'expérience pour la préparation de terrain, alors elle m'a montré les ficelles et m'a mise en contact avec des pêcheurs inuits et des scientifiques sur place», rapporte la doctorante.
Le fait qu'elle était novice n'a pas échappé aux pêcheurs «Ça se voyait que je n'avais pas l'habitude. Je n'avais jamais pêché. On se moquait un peu de moi, raconte-t-elle avec un sourire. On parlait peu, mais on échangeait des rires. J'apprenais en faisant.»
La communauté a été très accueillante. La jeune chercheuse se rappelle un guide qui avait accompagné sa collègue et elle-même sur un lac pour les protéger des grizzlis. «Il nous racontait des anecdotes et il nous a invitées à boire un verre avec lui et sa femme. On a partagé un super bon moment avec le couple d'Inuits».
Durant une journée typique, Flora Amill allait poser les filets dans le lac avec un zodiac puis récupérait les poissons quelques heures plus tard. À bord de l'embarcation, elle avait des glaciaires pour conserver les spécimens jusqu'au laboratoire. «On les amenait vite à la station pour la dissection. Cette étape durait très longtemps, parfois même jusqu'au petit matin. On prenait un petit peu de tout pour nos analyses: les branchies, les intestins, les nageoires adipeuses.» Pour ce qui est de la chair, elle était redonnée aux Inuits. Rien n'était perdu.
Des résultats utiles aux communautés
À travers son projet de doctorat, elle a caractérisé le microbiote des branchies dans différentes communautés d'ombles chevaliers. L'objectif était de trouver les bactéries prédominantes et de caractériser le microbiote en fonction des conditions environnementales et de la génétique du poisson. «On a observé une influence de la température et de la salinité. On a aussi vu une corrélation avec la présence de mercure dans l'eau», explique Flora Amill.
Pourquoi étudier le microbiote des branchies? «Les poissons ont trois microbiotes, celui de la peau, de l'intestin et des branchies. Les deux premiers sont assez étudiés, mais les recherches sur les branchies ne font que commencer. Pourtant, c'est un organe essentiel chez le poisson puisqu'il assure la respiration, mais aussi les processus d'osmo- et d’ionorégulation, qui sont essentiels chez les poissons qui migrent depuis les eaux douces vers les eaux salées de la côte pour se nourrir. Enfin, il est en contact direct avec l'environnement et filtre les contaminants et les pathogènes de l'eau», précise Flora Amill.
Les bactéries qui constituent le microbiote sont des indicateurs de la santé du poisson. Elles peuvent être bénéfiques ou, dans le cas des bactéries pathogènes, causer des maladies. Normalement, il y a un équilibre qui permet aux bactéries bénéfiques de protéger le poisson des pathogènes. «Lorsqu'il y a un débalancement causé par un stress, comme des changements physicochimiques de l'eau causés par des activités humaines ou le dérèglement climatique, le poisson peut tomber malade et mourir, ce qui pourrait entraîner une diminution de la population», souligne la doctorante. Comme ce poisson fait partie intégrante du régime alimentaire inuit, une perte affecterait les communautés.
La doctorante a publié ses résultats de recherche dans la revue scientifique Microbiology Spectrum et termine actuellement la rédaction de sa thèse.
Après les études, elle aimerait travailler comme biologiste pour des projets de protection du territoire et des ressources dans le Nord avec les premiers peuples.
«J'entendais les communautés nordiques raconter qu'ils ne pêchaient plus les mêmes poissons et n'entendaient plus les mêmes oiseaux. Le paysage est en train de changer et c'est un peu effrayant. J'ai envie de participer à améliorer les choses, de m'investir pour contrer ces changements importants en écoutant les expertises des populations locales qui connaissent leur terre mieux que personne. Il y a beaucoup à faire.»