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S'ils font leur entrée sur le marché, les jus à base de déchets de fruits et de légumes ou les bières faites de pains récupérés ne font pas encore partie des mœurs alimentaires. Au Québec, un tiers de la population est encline à essayer ce genre de produits, selon une thèse en agroalimentaire. «C'est vraiment minime, ça confirme qu'il y a des réticences de la part des consommateurs», indique son auteur, Wajdi Hellali.
Le dégoût, la méfiance devant la nouveauté et la peur semblent freiner les ardeurs. «Quand il s'agit d'un produit qu'on ne connaît pas du tout, qu'il n'y a pas d'ancrage avec des produits conventionnels, surtout des innovations comme des collations imprimées en 3D à partir d'une pâte déshydratée de déchets alimentaires, ça fait peur. C'est une barrière psychologique importante qu'on a trouvée», décrit l'auteur.
Pour arriver à ces résultats et mieux comprendre les consommateurs, il a analysé les réponses à un questionnaire de 1014 Québécois à propos de neuf produits dont un ou plusieurs ingrédients sont faits de déchets alimentaires.
Comme plusieurs chercheurs, il s'intéresse au problème du gaspillage alimentaire, alors que 30% à 40% de la nourriture destinée à la consommation est perdue tout au long de la chaîne d'approvisionnement, soit l'équivalent de 20 milliards de dollars au Canada. L'économie circulaire et la revalorisation des déchets (fruits et légumes moches, pulpes et pelures, eaux usées de l'industrie des fruits de mer…) se présentent comme une solution, mais viennent avec leur lot de défis, remarquent les scientifiques.

Le défi du coût
Dans sa thèse de doctorat, Wajdi Hellali soulève que les gens qui ont l'intention d'acheter des produits issus de l’économie circulaire s'attendent à les payer moins cher que leurs équivalents conventionnels. «Ils ont tendance à les associer à quelque chose de recyclé qui doit coûter moins cher à produire pour l'entreprise, mais ce n'est pas vrai, en réalité, ça coûte plus cher. Avec le peu d'économie circulaire qu'on a sur le marché en ce moment, il n'y a pas assez d'économie d'échelle pour baisser les coûts», rectifie l'auteur en parlant de circuits d'approvisionnement plus compliqués et de logistique inverse (aller chercher les intrants chez les consommateurs pour les ramener à l'usine).
À travers ses travaux de recherche, Wajdi Hellali veut aider les gens de l'industrie à mieux comprendre ce marché sous-étudié et à accompagner leur clientèle dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. «Les consommateurs ne font pas le lien entre ces produits et leur utilité», souligne-t-il. Donc, comment informer et conscientiser le public?
L'argument de la santé ou de l'environnement
Son enquête a montré que miser sur les effets positifs des produits circulaires sur la santé et l'environnement améliore la disposition à payer des gens, plus que de les exposer à des arguments économiques. Par exemple, mentionner qu'un aliment fait de peaux de fruits est riche en fibres et meilleur pour la santé ou qu'une collation faite de déchets aident à lutter contre le gaspillage alimentaire a davantage de poids, illustre l'auteur, que de souligner qu'il y aura création d'emplois, stimulation de l'économie et baisse de coût de ces produits quand l'économie circulaire prendra de l'ampleur.
Wajdi Hallali a confiance en l'avenir et se dit très content de vivre dans un milieu qui se soucie de l'environnement. «La population québécoise est très consciente écologiquement. Mais l'aspect à travailler est la distance psychologique entre ce que l'on veut et ce que l'on fait.»
Comme on dit, les bottines ne suivent pas toujours les babines.