
«La Ville autorise les coupes à blanc en plein milieu urbain et les promoteurs immobiliers ne sont pas tenus de planter des arbres. Je ne vois pas comment la création de déserts urbains peut constituer du développement durable», dit Jean Bousquet. Ici, un nouveau secteur résidentiel dans l'arrondissement des Rivières.
Spécialiste de la génétique des arbres, Jean Bousquet a un intérêt pour son sujet d'études qui dépasse le plan théorique. Depuis un an, il agit à titre de conseiller bénévole auprès du Comité des arbres du district de Sillery. Auparavant, il a été membre de la Commission de l'environnement de la Ville de Sillery pendant huit ans, dont les deux dernières à titre de président. C'est sous son mandat à la tête de la Commission que Sillery s'était dotée d'une politique de l’arbre afin de valoriser cet héritage naturel et de mettre fin aux coupes abusives que les promoteurs immobiliers pratiquaient dans les boisés de cette municipalité. Le printemps dernier, après avoir pris connaissance du projet de règlement sur l'abattage des arbres que préparait la Ville de Québec, il s'est présenté à la séance du conseil municipal du 22 mai pour exprimer son désaccord. Quelques citoyens avaient fait de même et leurs arguments avaient convaincu la mairesse Boucher de retarder l’adoption du règlement et de procéder à une consultation publique élargie.
Les séances de consultation ont eu lieu la semaine dernière et Jean Bousquet y a présenté un rapport dans lequel il souligne les lacunes du projet à l’étude. La plus criante de celles-ci est que le règlement s'applique à tous les arbres dans les arrondissements de la Cité et de Limoilou, mais uniquement aux arbres situés en façade dans les six autres arrondissements. «Dans les anciennes Villes, les arbres situés dans les cours latérales ou arrières – qui représentent environ 50 % de l’ensemble - ne sont pas couverts par le règlement. On est en droit de se demander pourquoi.»
Le discours et la réalité
Le professeur Bousquet a profité de cette tribune pour montrer quelques situations aberrantes auxquelles conduit l'absence de véritable politique de l'arbre à Québec. «Les dirigeants de la Ville de Québec prônent le développement durable, mais il y a un fossé énorme entre le discours officiel et la réalité sur le terrain. On ne tient compte de la présence des arbres dans l'aménagement du territoire que lorsqu’une demande de permis de construction est faite. À ce stade, l'arbre est toujours vu comme une nuisance et le règlement en permet l'abattage. Les promoteurs arrivent dans un secteur boisé, rasent tout, construisent des bâtiments surdimensionnés par rapport à la superficie du lot et ne sont pas tenus de remplacer les arbres qu'ils coupent. La Ville permet les coupes à blanc en plein milieu urbain. Je ne vois pas comment on peut appeler ça du développement durable.»
Le professeur s’inquiète aussi du sort qu’on réserve aux rares boisés urbains qui subsistent à Québec. L’argument selon lequel ces boisés sont des terrains qui ne rapportent rien aux coffres de la Ville est de l’économie à courte vue, affirme-t-il. «Les gens aiment vivre dans des quartiers où il y a beaucoup d’arbres et d’espaces verts. Si on veut attirer ici des travailleurs de l’économie du savoir, il faut être en mesure de leur offrir une qualité de vie qui se compare à ce que leur proposent les autres grandes villes canadiennes. Malheureusement, la cote verte de Québec n’est pas en hausse dans la plupart des arrondissements», estime-t-il. Le réchauffement climatique anticipé devrait pourtant inciter la Ville à favoriser le développement du couvert arborescent sur son territoire, ajoute le professeur. «En milieu urbain, la différence entre des secteurs boisés et non boisés peut atteindre jusqu’à 10 degrés Celsius en période de canicule.»
Selon ses calculs, la valeur foncière des arbres de la Ville de Québec se situe à plus de 1 milliard de dollars. «C’est non seulement une source majeure de richesse environnementale, mais également une source de richesse foncière qu’il faut protéger et gérer de façon vigilante», souligne-t-il. Le professeur Bousquet recommande l’adoption d’un moratoire sur les coupes rases et les développements dans les boisés abritant des arbres remarquables, le temps que Québec se dote d’une véritable politique de l’arbre pour protéger et mettre en valeur ce patrimoine naturel.