Q Pourquoi la compagnie AbitibiBowater a-t-elle décidé de fermer son usine de Donnacona?
R Abitibi-Bowater, dont le titre valait 37 $ au début de l’année 2008, contre 2 $ aujourd’hui, doit faire face à une dette considérable de 5,3 milliards de dollars. En 1998, ils ont investi presque 260 millions dans cette usine. Ils ont aussi payé le gros prix pour acheter des concurrents comme Donahue. Cependant, il y a nécessairement quelque chose à faire avec une usine qui ne contient qu’une seule machine datant de 1998, ce qui est rare. Habituellement, dans l’industrie papetière, il s’agit de vieilles machines. Le mieux, avec ce type d’équipement, c’est encore de produire du papier super calandré, un papier à mi-chemin entre le papier fin et le papier journal, qui sert notamment pour le matériel publicitaire. Cependant, le marché est encombré. Même si l’économie allait bien, il y aurait un surplus de capacité. Pour rester en vie et avoir un bon prix, Abitibi-Bowater, un énorme joueur, contrôle l’offre en se concentrant sur les usines les plus productives. Pour des raisons que j’ignore, on a choisi de se délester de l’usine de Donnacona au profit de La Laurentide à Shawinigan et de l’usine de Dolbeau.
Q Que peut faire le comité de relance de l’usine de Donnacona dans ces conditions?
R Peut-être intéresser un investisseur qui pourra faire une offre qu’Abibiti-Bowater ne pourra pas refuser. Ils ont besoin d’argent frais pour réduire d’un milliard de dollars leur dette dans la prochaine année, donc il faut un bon prix, ainsi que la garantie que l’acheteur n’entrera pas en compétition avec la production d’Abitibi, en explorant les autres variétés de papier. Mais ce qui me vient à l’esprit, c’est d’aller à une autre étape, celle du bioraffinage. On a un splendide exemple avec l’usine Tembec à Témiscamingue qui fabrique de l’éthanol à partir des molécules de cellulose à des fins bioalimentaires et pharmaceutiques. À peu près tout le vinaigre de table vendu dans l’Est du Québec vient de là. On peut faire beaucoup d’autres produits dans la perspective du changement industriel d’une économie basée sur le pétrole, à une économie qui s’adapte aux changements climatiques. On pourrait ainsi passer à une économie sucrière avec la matière ligneuse, une matière première biologique renouvelable, ce qui permettrait de consommer moins de pétrole et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour y arriver, il faut bioraffiner cette cellulose. Techniquement, les recettes existent.
Q Peut-on les appliquer à l’usine de Donnacona?
R Selon le produit choisi, il va falloir certainement adapter les processus industriels. Cependant, cela mérite d’être tenté, surtout qu’on dispose d’une usine quasiment flambant neuve, encore dans son emballage d’origine. C’est absurde de démanteler les usines de pâtes et papiers pour les remonter en Chine, au Vietnam ou de les vendre pour le vieux fer, alors qu’on sait que dans cinq à dix ans, le nouveau paradigme de l’économie sucrière sera là et qu’il faudra réinventer une infrastructure industrielle puisque la ressource est disponible. Sans se lancer dans une aventure comme celle de la Gaspésia et dans une orgie de millions ou de milliards de dollars, on pourrait imaginer que cette usine jeune et de qualité devienne un banc d’essai. Elle se trouve en effet à proximité de grandes institutions universitaires qui ont pour mission de développer de nouveaux produits, ici à Laval, à l’UQTR avec son centre de recherche sur les pâtes et papiers ou encore à l’Institut Paprikan de Montréal. On peut imaginer, par exemple, des bioplastiques entrant dans la composition de nouveaux véhicules automobiles, de matériaux d’isolation pour les maisons, de fibres textiles. Je suis convaincu qu’il va falloir s’adapter aux changements climatiques, consommer autrement, et si possible aller vers des matières premières renouvelables. C’est exactement ce que fournit la forêt.