«Je me rappelle encore le jour où j’ai reçu ce courriel de Christian Hudon, coordonnateur du programme « Managers sans frontières ». Son court message faisait part d’un nouveau programme implanté à l’Université Laval et qui se terminait par un stage de trois à six mois à l’étranger. J’étais en train de terminer ma maîtrise en communication publique à l’Université. Je m’étais spécialisée en gestion de crise et j’avais déjà commencé à travailler dans mon domaine au sein de l’appareil gouvernemental québécois. Même si l’idée de me lancer dans un nouveau programme ne me plaisait pas beaucoup, enfoui en moi couvait le rêve de voyager et d’explorer de nouveaux horizons. J’ai donc, sans réfléchir trop longtemps, présenté ma candidature et suivi le processus d’entrevue. J’ai été estomaquée lorsque j’ai reçu la lettre m’annonçant que ma demande avait été acceptée. Un mélange bizarre de joie et de nervosité.
Au cours de l’année scolaire, j’ai suivi, en compagnie d’une quinzaine d’autres étudiants sélectionnés, les cours de formation et de préparation pour mon stage à l’étranger. Nous avons tous quitté pour les quatre coins du monde au cours des mois de mai et juin. Pour ma part, je suis partie au Niger avec une autre stagiaire du programme, Mélissa Laporte. Nous avions toutes deux obtenu un contrat avec Oxfam-Québec Niger. Je me revois encore à l’aéroport, quittant mon chum, ma famille, mes amis et ma vie dont je ne me plaignais guère, pour aller dans ce pays désertique d’Afrique, considéré comme un des plus pauvres au monde. À maintes reprises, je me demandais à quoi j’avais pensé en m’embarquant dans une aventure pareille. Des envies de sauver le monde, ça paraît toujours bien vu de notre salon, mais de l’aéroport où je contemplais cet avion qui allait me conduire sur ce continent dont ma connaissance se limitait aux documentaires sur la faune africaine du canal «D» et aux reportages de Vision mondiale, j’avais l’impression d’avoir un énorme mur à surmonter devant moi.
Première semaine, dure semaine
Arrivée à Niamey, la capitale du pays, j’ai débuté mon stage dont la durée était de trois mois. Mon travail consistait à élaborer un plan de gestion de crise alimentaire pour Oxfam-Québec. Le Niger est un pays extrêmement vulnérable à ce type de crise. L’an dernier, la sécheresse et les invasions de criquets ont eu raison des récoltes et causé une famine qui a fait des milliers de victimes. Le défi qui m’attendait en était donc un de taille, mais très stimulant.
La première semaine fut la plus dure de ma vie. Pour une fille qui n’était jamais allée dans un pays en voie de développement, le choc fut très intense. Je me demandais comment j’allais passer au travers. Selon mes collègues d’Oxfam-Québec qui avaient à leur actif plusieurs années dans le domaine de l’aide humanitaire, je n’avais pas choisi le pays le plus facile pour une première expérience.
C’est dans ces moments-là qu’on découvre en soi des forces inconnues. Après deux semaines difficiles d’adaptation, où j’ai dû m’habituer aux coquerelles, lézards, rats, à la chaleur extrême (45-50°C), et plus que tout, à la pauvreté qui vous coupe le souffle, je me suis tranquillement intégrée au train-train quotidien africain. Il faut dire que Mélissa et moi nous sommes entendues à merveille, ce qui a grandement facilité les choses. J’ai découvert un pays, une culture et une vision du monde qui ne s’apprennent pas dans les livres. J’ai appris à travailler dans des conditions difficiles où un imprévu n’attend pas l’autre. On en vient à vivre sur une espèce d’adrénaline, notre cerveau analyse rapidement les problèmes et trouve les solutions en relativisant la gravité de chaque situation. On apprend à laisser tomber des façons de juger à la mode chez soi pour accepter de voir les choses autrement et reconnaître le bien-fondé de comportements différents. Je dois également admettre que mes nerfs d’occidentale pressée ont dû apprendre à se calmer, d’autant plus que le mot «stress» ne fait pas partie du vocabulaire africain.
Vivre au jour le jour
Pays musulman à 98 % dont la langue officielle est le français et le taux d’alphabétisation ne dépasse pas 17%, le Niger est un État démocratique dont le système est souvent mis à l’épreuve par la corruption et les pots-de-vin; une situation parfois étalée au grand jour par des journalistes audacieux. Mais vu le nombre restreint de personnes qui savent lire ou encore qui possèdent un appareil de télévision, les médias là-bas n’ont pas la même influence qu’ici. À tous les jours, nous étions confrontés à des situations d’injustice qu’on ne tolérerait pas longtemps au Québec.
Quitter ce pays fut autant difficile que de m’y adapter. Malgré ces terribles conditions de vie, j’ai découvert des gens qui apprécient la vie comme si elle allait se terminer le lendemain. Ce fut d’ailleurs une des plus grandes leçons que j’ai retenues. À cette sérénité s’ajoutent un esprit d’accueil et une amabilité qui nous touchent au cœur. J’ai eu ce qu’on appelle la piqûre de l’Afrique. Elle nous imprègne l’esprit pour longtemps, si bien qu’on ressent l’envie de retourner là-bas. À la prochaine.
Cette expérience fut pour moi la plus difficile et la plus enrichissante de ma vie. Malgré les difficultés que j’ai dû affronter, je recommencerais demain matin. Et pour une fois, je n’ai aucune gêne à dire que je suis fière de moi. En bout de ligne, c’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie.»