Les vaccins sont malheureusement victimes de leur succès: comme ils éradiquent ou diminuent énormément la survenue de plusieurs maladies infectieuses et de leurs complications, nous sommes de moins en moins témoins de ces maladies et de leurs complications graves, et nous finissons par croire que nous n'avons plus besoin de vaccins. Au contraire, c'est grâce aux vaccins si ces maladies et leurs dégâts sont contrôlés. Le plan de vaccination contre le nouveau virus influenza H1N1 est mis sur pied pour contrecarrer une pandémie, et ainsi empêcher les populations les plus vulnérables d'en souffrir et même d'en mourir. Ces populations vulnérables sont les personnes âgées (comme nos grands-parents), les femmes enceintes (comme peut-être certaines de vos amies), les jeunes enfants, et un grand nombre de personnes qui souffrent de certaines maladies chroniques communes (comme les patients des travailleurs de la santé). Et ce n'est pas que pour protéger les plus vulnérables que nous avons avantage à nous faire vacciner, car en temps de pandémie, les jeunes adultes en bonne santé sont particulièrement touchés. Des données historiques le prouvent bien, tout comme les plus récentes observations concernant le nouvel influenza H1N1: les plus touchés sont les gens entre 5 et 60 ans, et plusieurs jeunes adultes préalablement en bonne santé sont décédés lors de la première vague au printemps dernier. Et même si ce ne sont pas les jeunes en santé qui en meurent le plus, les études démontrent clairement que le virus cloue les gens au lit, avec douleurs musculaires importantes et malaise, pour une durée moyenne de trois jours. De plus, l'influenza est un virus qui mute énormément: plus on le laisse se propager d'une personne à l'autre, plus nous courrons (tous) la chance qu'il mute et devienne beaucoup plus dangereux (c'est malheureusement ce qui s’est peut-être produit en 1918 avec la grippe espagnole, un autre H1N1).
Lorsque nous nous faisons vacciner, nous le faisons pour nous-mêmes mais également, et par civisme, pour la population. Les principaux effets secondaires ayant été bien démontrés avec les vaccins modernes contre l’influenza sont: douleur locale et parfois fièvre, douleur musculaire ou fatigue temporaires. Le seul effet secondaire grave prouvé est la réaction allergique pouvant survenir chez les gens allergiques aux œufs. Pour ceux qui craignent le syndrome de Guillain-Barré (paralysie généralement réversible), un lien entre ce syndrome et les vaccins modernes contre l'influenza n'a jamais été clairement démontré malgré de nombreuses tentatives visant à le démontrer, alors que le risque de développer ce syndrome à la suite d’une infection respiratoire comme l'influenza lui-même semble beaucoup plus important selon les données scientifiques actuellement disponibles. En somme, il y a beaucoup plus de bénéfices que de risques à se faire vacciner contre l’influenza. Lorsque l'on porte sa ceinture de sécurité, il y a une probabilité de subir un impact latéral et d'en mourir à cause de la ceinture de sécurité. Toutefois, comme la majorité des impacts surviennent devant ou derrière le véhicule, les bénéfices de la ceinture de sécurité surpassent de loin les risques. Le même raisonnement s'applique pour ce vaccin. Même si le nouvel influenza H1N1 s’est montré relativement peu mortel lors de la première vague, il faut se rappeler que la production d'un vaccin requiert plusieurs mois et que, comme le but du vaccin est de prévenir une deuxième vague plus meurtrière, il est nécessaire d’anticiper en produisant un vaccin avant d’observer un taux de mortalité plus important. D’ailleurs, l'Agence de santé publique du Canada estime que ce sont entre 25 et 35 % des Canadiens qui pourraient être touchés par la deuxième vague du virus H1N1. Il faut se rappeler que la crise la mieux gérée est celle qui ne verra jamais le jour.
Il est vrai qu’un adjuvant a été utilisé pour la fabrication de ce vaccin. Un adjuvant a pour but d’aider notre système immunitaire à synthétiser des anticorps. Il s’agit d’un type d’adjuvant qui est utilisé depuis de nombreuses années dans certains autres vaccins, et il a déjà servi à vacciner des millions de personnes dans le monde sans engendrer aucun problème de santé particulier. Cet adjuvant contient de l’eau, de la vitamine E, du polysorbate 80 (un émulsifiant notamment utilisé dans la crème glacée) et un dérivé d'une substance retrouvée de façon naturelle chez l'humain (le squalène, qui est un précurseur du cholestérol). Mis à part cet adjuvant et les particules du nouveau virus H1N1, le vaccin a été produit exactement de la même manière qu’il l’est chaque année. De plus, tout comme chaque vaccin, il a été et est encore étudié chez de nombreux volontaires (45 000 personnes jusqu'à maintenant) avant son administration à la population. Par extrême prudence, comme l’adjuvant n’a jamais été étudié chez les femmes enceintes et les très jeunes enfants, ces derniers recevront une version du vaccin qui ne contient pas d’adjuvant. Toutefois, la santé publique recommande aux femmes enceintes de plus de 20 semaines de grossesse de recevoir le vaccin avec adjuvant si la version sans adjuvant n'est pas prête à temps.
Pour ceux qui conservent des doutes concernant la vaccination, visitez ce site: www.msss.gouv.qc.ca/sujets/santepub/vaccination/index.php?faites_le_point . Ce site permet de réaliser que la majorité des craintes qui circulent dans la population concernant la vaccination sont en réalité des mythes. En terminant, il est extrêmement important de se questionner lorsque nous recevons un courriel dont la source du contenu est omise ou nébuleuse: ce sont souvent des canulars ou des propagandes. Plusieurs inventions sans fondement ont été véhiculées par courriel, sur le Web ou dans différentes tribunes téléphoniques. Même si cette désinformation semble souvent inoffensive, elle coûte malheureusement beaucoup de vies humaines.
JEANNOT DUMARESQ
Médecin résident en microbiologie médicale et infectiologie
Université Laval
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Colocs en stock ou l’insécurité confortable
Si on me demande mon opinion sur la parution récente de la réécriture en français québécois de Coke en stock, je réponds que je trouve qu’il s’agit d’une absurdité. Mon opinion, cependant, n’est pas basée sur le fait que la langue utilisée serait laide ou dénaturée, ou qu’elle ne soit simplement pas du français. Au contraire! C’est plutôt parce que cela présente une image fausse de la réalité.
On remarquera que j’ai employé le mot réécriture et non traduction. C’est que, pour qu’il y ait traduction, il faut qu’il y ait passage d’une langue à une autre. Ce n’est pas le cas ici, puisque la langue qu’on parle au Québec est la même langue que celle qu’on parle en France (et en Belgique, en Suisse, sur l’île de la Réunion, etc.). On remarquera aussi que je n’ai pas parlé de joual, mais bien de français québécois. Le joual, ce n’est pas le français québécois. À l’origine, il s’agissait du registre familier des classes ouvrières de Montréal des années 1960 et 1970. Le mot a maintenant pris une connotation très négative. La Base de données lexicographique panfrancophone (BDLP) parle du joual en ces termes: «Variété de français québécois caractérisée par un ensemble de traits (surtout phonétiques et lexicaux) jugés incorrects ou mauvais, généralement identifiée au parler des milieux populaires et souvent considérée comme signe d'acculturation.» (www.bdlp.org/resultats.asp?base=bdlp_quebec). C’est donc dire qu’employer le mot joual pour faire référence au français québécois implique un jugement négatif.
Pour bien comprendre mon propos, on se doit de comprendre certains concepts en linguistique. Avant de poursuivre, donc, je tiens à rappeler ce que sont les registres dans une langue. Les registres (ou niveaux) de langue renvoient aux variations stylistiques qu’un locuteur fait dans son discours, selon la situation de communication dans laquelle il se trouve. Le registre familier est le registre le plus libre, celui que l’on emploie dans les situations où l’on n’a pas besoin de faire des efforts pour «bien parler». Ce registre s’éloigne beaucoup de la langue écrite, justement parce qu’il est plus libre (alors que l’écrit, on le sait, est fixe (ou presque)). C’est dans ce registre que l’on retrouve le plus de différences d’une variété de langue à l’autre (français du Québec, français de la Belgique, français de Suisse, français de France, etc.). Le registre soigné, quant à lui, se trouve en quelque sorte à l’opposé du registre familier. C’est en effet ce registre que l’on emploie dans les situations formelles, dans les situations où l’image de soi est aussi importante que le message que l’on veut transmettre. Ce registre est beaucoup moins libre que le registre familier. Les règles en sont plus strictes, ce qui fait que les différentes variétés de langue, en registre soigné, sont très proches les unes des autres.
Ce que l’on a fait avec Colocs en stock, et c’est là où le bât blesse, à mon avis, c’est que l’on a réécrit au registre familier une œuvre qui était, à l’origine, écrite au registre soigné – car toute l’œuvre d’Hergé est écrite au registre soigné. Les réticences, voire le malaise, que beaucoup ressentent à la lecture de cette réécriture sont donc normales: les règles sociales qui régissent l’emploi des différents registres ont été bafouées. Les locuteurs d’une langue possèdent une connaissance intuitive des registres de langue et sont donc en mesure d’évaluer très rapidement quel registre est de mise dans telle ou telle situation. Pourquoi, par exemple, y a-t-il un tel débat au sujet de Colocs en stock, alors qu’il n’y en a pas au sujet de la traduction des Simpsons? C’est que, dans les Simpsons, le registre qui est employé correspond à celui que la situation commande.
Colocs en stock donne donc l’image que le français québécois n’est qu’un registre familier, ce qui est une grave erreur. L’imaginaire linguistique des Québécois est caractérisé par l’incertitude et l’insécurité, qui sont issues d’une mauvaise interprétation de la réalité. En effet, il arrive très souvent que l’on compare le registre familier du français québécois au registre soigné du français de France, ce qui place évidemment le français québécois dans une très mauvaise posture. Colocs en stock ne fait que perpétuer cette mauvaise interprétation et laisser les Québécois se conforter dans leur insécurité.
ANNE-MARIE BEAUDOIN-BÉGIN
M.A. Linguistique
Chargée de cours
Département de langues, linguistique et traduction