Tel est l’un des constats qu’a dressés Fatou Sow, sociologue et chercheuse féministe de renommée internationale dans le domaine de la santé et de la sexualité des femmes en Afrique subsaharienne, lors d’une conférence publique intitulée «Vivre sa santé». Cette conférence se déroulait dans le cadre du colloque interdisciplinaire ayant pour thème «Santé des femmes et qualité de vie» qui a eu lieu du 3 au 9 juin sur le campus. Réunissant des féministes des quatre coins de la planète, cette 5e édition de l’Université féministe d’été était organisée par la direction du diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en études féministes et la Direction générale de la formation continue. «En Afrique, la femme a un devoir de reproduction, a expliqué Fatou Sow. Si on ne remet pas en question ce devoir de reproduction, le problème reste le même. En Occident, c’est au moment où elles ont commencé à être éduquées que les femmes ont commencé à faire moins d’enfants. La solution consiste à envoyer nos filles à l’école. Même en Afrique, les femmes qui sont docteures en médecine n’ont pas dix enfants.»
La fécondité, une valeur sûre
Comment mettre un frein à cette «surfécondité» des femmes dont parle Fatou Sow qui met la santé et parfois même la vie de la femme en danger en raison de grossesses précoces et trop rapprochées? Dans un contexte où la femme vit sous le contrôle de son mari et qu’elle doit se soumettre au devoir conjugal, la régulation des naissances est difficile. Le fait que la fécondité reste une valeur sûre pour la reconnaissance du statut social, et ce, autant pour les hommes que pour les femmes, n’aide pas à résoudre le problème. «Pour un homme, faire des enfants témoigne de sa puissance et de sa virilité, dit Fatou Sow. De son côté, la femme qui n’a pas d’enfants est en marge de la société. Continuer d’enfanter a une telle importance sociale que les femmes ont de la difficulté à remettre cela en question.» L’utilisation de moyens contraceptifs comme le condom pose aussi un problème et on ne peut même pas parler de la pilule, à peu près introuvable. «On peut trouver des condoms en ville, mais à la campagne c’est plus difficile, souligne la féministe. De plus, un homme marié ne se sent pas obligé d’utiliser le condom lors de rapports sexuels avec son épouse parce qu’il s’agit de rapports légitimes.»
Outre ces inégalités entre les sexes que les femmes vivent très tôt et qui ont des répercussions sur leur façon de concevoir la vie de couple, la santé des femmes est minée par l’immense pauvreté qui règne dans certains pays de l’Afrique subsaharienne. Par exemple, au Burkina Faso, où le taux de fécondité était de 6,7 par femme en 2004, on compte un gynécologue par 100 000 femmes en âge de procréer. Résultat: les femmes qui les accouchent sont des matrones et ces mères meurent souvent en couches. Elles meurent aussi du sida et de toutes sortes de maladies liées à la malnutrition. Devant cette situation, les femmes africaines peuvent-elles aspirer à une meilleure qualité de vie? «En Afrique, la qualité de vie est un luxe, dit Fatou Sow. À la base, être en santé ou être malade n’a pas le même sens en Afrique qu’ici. À partir de quand peut-on dire qu’on est malade en Afrique? Est-ce qu’on est malade à partir du moment où on est incapable de se lever pour vaquer à ses occupations quotidiennes? Être malade en Afrique, ce n’est pas évident.»