«Il y avait un enchevêtrement de squelettes, certains disposés tête-bêche, un par-dessus l'autre, d'autres qui étaient à plat ventre, et même quelques-uns sur leur côté.»
C'est ainsi qu'Aida R. Barberà, doctorante en bioarchéologie à l'Université Laval, décrit un site de fouilles particulier découvert au mois de mai sur la rue Saint-Anselme, tout près de l'Hôpital général de Québec, dans le quartier Saint-Roch, pendant des travaux d'aménagement menés par la Ville de Québec. Le site pourrait être une fosse commune datant du 18e siècle dans laquelle auraient été ensevelies les dépouilles de soldats britanniques ayant participé soit à la bataille des plaines d'Abraham en 1759, soit à celle de Sainte-Foy en 1760.
«Il s'agit pour le moment d'une hypothèse, précise la doctorante. Il faut attendre les résultats des analyses spécialisées pour confirmer cela. Mais les sources historiques parlent de soldats protestants qui, à cause de leur religion, ne pouvaient pas être enterrés dans le cimetière catholique de l'Hôpital général, mais plus loin, au nord-est de la limite de ce cimetière.»
La Ville de Québec a mandaté la firme Gaia, coopérative de travail en archéologie, pour procéder cet été aux interventions archéologiques sur le site de la rue Saint-Anselme. La doctorante Aida R. Barberà a été engagée par Gaia à titre de bioarchéologue pour les fouilles et les analyses en laboratoire. La bioarchéologie est une science multidisciplinaire axée sur l'étude des restes humains anciens. Selon elle, cette fosse commune constitue un témoin important de l'histoire de Québec et du contexte plus large de la guerre de Sept Ans.
Trente-quatre. C'est le nombre de squelettes exhumés sur le site de quatre mètres sur quatre mètres. Selon Aida R. Barberà, les squelettes sont semi-complets en raison des fortes perturbations du sol aux 19e et 20e siècles, notamment pour l'installation de canalisations. Au moins cinq individus portent des traces d'amputation subies à l'Hôpital général. Un autre a été retrouvé avec une balle de plomb entrée dans l'épaule, un autre avait de petites balles de fer, de la mitraille, dans le corps.
«Nous en savons assez pour dire qu'il y avait au minimum 34 corps, soutient-elle. Les squelettes sont fragmentés, plusieurs os sont épars. Probablement qu'une cinquantaine de corps ont été enterrés là, dont un enfant d'environ un an. Nous estimons que la plupart sont des hommes, mais il se peut aussi qu'il y ait des femmes. Tout cela sera vérifié en laboratoire.»
Des analyses en labo
Les fouilles archéologiques ont pris fin au mois d'août et l'activité de remblaiement du site est maintenant terminée.
La doctorante poursuivra son travail cet automne et cet hiver, entourée d'une dizaine de spécialistes, dans un laboratoire situé dans la ville de Québec. «C'est pas mal moi qui ferai l'analyse des squelettes, ce sera mon rôle comme bioarchéologue», explique-t-elle.
Aida R. Barberà et ses collègues commenceront par estimer l'âge et le sexe des individus. Ils vont chercher les signes de carences alimentaires, sachant que les conditions de vie étaient vraiment dures sur les bateaux et dans les camps militaires. Ils vont aussi chercher les signes de toutes les pathologies dues aux blessures traumatiques. Il y aura aussi des analyses spécialisées en entomologie funéraire.
«Je chercherai les parasites, ma spécialité, et j'en ferai l'analyse, poursuit-elle. On sait qu'il y avait tellement de maladies causées par des parasites dans le passé. Les soldats de l'époque vivaient dans la saleté et dans des conditions pas du tout hygiéniques.»
Trois autres chantiers archéologiques
Entre mai et août, des professeurs et des étudiants de l'Université Laval ont participé à trois autres chantiers archéologiques à Québec, dans les Hautes-Laurentides et à Chypre.
Du 13 mai au 14 juin, Allison Bain et Karine Taché, deux professeures au Département des sciences historiques, ont poursuivi les fouilles entamées en 2021 sur le site archéologique de la ferme de Cadet. Elles supervisaient 15 étudiantes et étudiants inscrits au baccalauréat et à la maîtrise en archéologie sur ce chantier situé dans l'arrondissement des Rivières, en périphérie de Québec, au bord de la rivière Saint-Charles.
«Selon les travaux réalisés à ce jour, le site aurait été occupé dès le 17e siècle et aurait connu plusieurs propriétaires au fil des siècles, explique la professeure Bain. Depuis les débuts, la fouille du site révèle des pans inédits de la vie d'antan à la campagne.»
Ce printemps, les fouilles ont notamment permis de confirmer une occupation datant de la première moitié du 18e siècle, identifiée par un creusement qui pourrait être un cellier.
Ce projet est le fruit d'un partenariat avec la Ville de Québec.
L'occupation ancienne dans les Hautes-Laurentides
Fin juin, Karine Taché et six étudiantes et étudiants de l'Université Laval se sont déplacés vers la municipalité de Nominingue, dans les Hautes-Laurentides. Leurs interventions archéologiques, des fouilles et des inventaires, se sont déroulées en trois phases entre le 1er et le 18 juillet, entre Nominingue, Maniwaki et Mont-Tremblant.
«Notre projet de fouilles a deux objectifs, indique la professeure Taché. Premièrement, nous voulons documenter l'occupation ancienne du territoire des Hautes-Laurentides. Deuxièmement, nous voulons intégrer des savoirs scientifiques et des savoirs autochtones pour documenter la diète et les traditions culinaires des ancêtres des Anishinabés dans la région.»
Les fouilles menées cet été au Ruisseau Jourdain ont révélé la présence de nouvelles aires d'activités humaines. Parmi les artéfacts découverts dans ce secteur, un fragment de fouëne en os représente l'un des rares outils en os trouvés sur le site jusqu'à maintenant. Dans une autre aire, les fouilleurs ont découvert des perles en verre et un fragment de chien de fusil, entre autres.
Le chantier de Nominingue se fait en étroite collaboration avec la communauté anishinabeg-algonquine de Kitigan Zibi, et les Gardiens du patrimoine archéologique des Hautes-Laurentides.
Au palais royal d'Amathonte
Après quelques années d'absence, le professeur Thierry Petit, du Département des sciences historiques, a effectué cet été un retour sur l'île de Chypre, à l'est de la mer Méditerranée, plus précisément sur le site du palais royal d'Amathonte, lieu qu'il fouille depuis plus de 30 ans. L'accompagnaient six étudiants de l'Université Laval. Les fouilles ont eu lieu entre le 10 juin et le 19 juillet.
«Nous avons découvert le plan complet du bâtiment d'apparat du premier palais d'Amathonte remontant à l'époque géométrique, soit au 9e siècle avant Jésus-Christ, raconte le professeur Petit. Ce bâtiment mesure 11,50 mètres par 6,50 mètres. Nous avons mis au jour la base des murs. Les vestiges sont à environ deux mètres sous la surface du sol vierge. Le bâtiment avait probablement pour fonction la salle de réception du premier palais royal.»
Cet édifice se caractérisait notamment par de grandes dalles de calcaire soigneusement taillées, de la pierre de taille bien équarrie et un système de canalisation sophistiqué.
Le site est géré par l'École française d'archéologie d'Athènes.