2 juin 2022
André Desrochers: repenser la conservation de l'environnement
Dans son récent ouvrage, le professeur d'écologie animale revisite les fondements de la conservation et il met en lumière le détournement des savoirs scientifiques par l'establishment environnemental
Quand vient le temps d'exprimer ses opinions, André Desrochers n'a jamais cherché à remporter un concours de popularité. Les positions tranchées qu'il défend dans les médias ou sur son blogue vont souvent à contre-courant des idées qui rallient la majorité des scientifiques. Mais, contre vents et marées, il persiste, il signe et il force la réflexion.
Son ouvrage Repenser la conservation de l'environnement, paru aux Presses de l'Université Laval, est de la même eau. Le professeur d'écologie animale au Département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval y revisite des idées qui font consensus en conservation de l'environnement, il les déconstruit et il tente de démontrer la fragilité de leurs assises ainsi que leur caractère essentiellement politique.
À l'invitation d'ULaval nouvelles, il précise ici certains éléments de sa pensée.
Q. Dans votre ouvrage, vous remettez en question des idées comme la santé des écosystèmes, l'intégrité des écosystèmes et même la biodiversité comme gage de stabilité des écosystèmes, estimant qu'il s'agit là de concepts subjectifs qui relèvent du jugement de valeur. La conservation de l'environnement a-t-elle des assises scientifiques fragiles?
Je ne remets pas ces idées en question, mais plutôt le vernis scientifique ou le vernis d'objectivité avec lequel on les présente. Les fondements de la conservation de l'environnement ne sont ni meilleurs ni pires que ceux des autres missions ou enjeux sociétaux: ils sont politiques. Mais à mon avis, la conservation passe trop souvent par un «maquillage» scientifique pour faire accepter ses propositions, ce qui finit par miner sa crédibilité.
Q. Des scientifiques se sont périodiquement inquiétés de l'augmentation exponentielle de la population humaine et de la hausse de la consommation des ressources par personne. Jusqu'à maintenant, les progrès technologiques ont permis de repousser la capacité de soutien maximale de la planète pour l'espèce humaine. Vous suggérez que ces enjeux relèvent de la misanthropie et de la nostalgie. Pourtant, ne vivons-nous pas sur une planète aux ressources finies?
Selon les sources officielles, l'accroissement de la population humaine est en voie de plafonnement, alors je ne m'en inquiète plus. L'idée que les ressources de la planète ne sont pas infinies est séduisante, mais elle repose sur une confusion entre «ressources» et «matières». À force d'apprendre à faire des choses utiles avec des matières premières autrefois inutiles, nous sommes arrivés à un point où la quantité de ressources disponibles est sans précédent.
De plus, la dématérialisation de notre économie est prometteuse. Le téléphone intelligent est l'exemple par excellence, remplaçant moult objets matériels d'autrefois (cadran, lampe de poche, calculatrice, réveille-matin, caméra, etc.). Le plafonnement des superficies agricoles, malgré la production accrue de nourriture, est un autre exemple qui devrait nous encourager. Ces avancées ont fait mal vieillir les propos alarmistes des années 1970 du Club de Rome.
Q. Vous déplorez le fait qu'on utilise un double standard – l'un pour les humains et l'autre pour les espèces animales – quand vient le temps de mesurer les répercussions environnementales. N'y a-t-il pas une différence fondamentale entre un castor qui construit un barrage sur un ruisseau et des humains qui construisent un barrage hydroélectrique sur une rivière? Notre statut d'être pensant ne vient-il pas avec des obligations particulières à l'égard de l'environnement?
La différence fondamentale est que le castor est un simple passager du vaisseau spatial Terre, alors que nous sommes en train d'en devenir les ingénieurs et commandants. Plusieurs écologistes abhorrent ce statut, ils se sentent coupables, j'imagine. Plutôt que d'entretenir ce sentiment de culpabilité, on devrait canaliser cette «énergie» vers une intendance décomplexée de l'environnement, par nous et pour nous, un humanisme environnemental, en quelque sorte.
Q. Vous soulignez que la conservation de l'environnement cultive un discours apocalyptique – les écosystèmes souffrent, les espèces disparaissent, l'humanité court à sa perte – et vous estimez que ce fatalisme engendre une anxiété contreproductive. Par quoi proposez-vous de remplacer ce discours?
Par un discours plus humble, donnant plus de place aux incertitudes, par un discours basé davantage sur les faits que sur la désinformation alarmiste. Comprendre que les événements qui font les nouvelles ne sont pas représentatifs de l'évolution de la condition humaine et de l'environnement, et que souvent des tendances lourdes passent sous le radar des médias. Comme le fait qu'il y a 100 ans, il mourrait annuellement 10 ou 20 fois plus d'humains de causes climatiques qu'actuellement. Ou encore que la planète verdit progressivement depuis quelques décennies.
Q. Selon vous, les experts en environnement ne devraient pas faire de recommandation explicite sur ce qui est bon ou mauvais. Vous estimez que la plupart d'entre eux sont partiaux et que ce serait une erreur de faire appel à leur jugement pour décider de l'issue d'un enjeu environnemental. Pourtant, vous êtes un expert en conservation, vous participez au débat public sur des enjeux environnementaux et vous avez milité au sein de groupes écologistes. Comment réconciliez-vous tout cela?
Les scientifiques et tous les citoyens ont la possibilité, sinon la responsabilité, de faire valoir leur point de vue sur les questions sociales comme l'environnement. Le rôle des scientifiques se distingue seulement quand vient le temps d'alimenter empiriquement une réflexion sur un enjeu environnemental, en fournissant, par exemple, la probabilité qu'une espèce disparaisse d'un endroit précis à un moment précis dans l'avenir. Mais l'opinion du scientifique sur la désirabilité d'une espèce ne devrait pas peser plus lourd que celle de tout autre citoyen.
Par ailleurs, plusieurs scientifiques, dont moi-même, sont passionnés par les espèces qu'ils étudient, ce qui les rend plutôt biaisés! Ce qui m'agace, c'est le maquillage de jugements de valeur – «il faut conserver telle espèce» – en science. La science ne dit jamais ce qu'il faut faire; elle dit ce qui est et ce qui pourrait être, c'est tout.