Pour donner la chance aux petites épinettes mises en terre après une coupe forestière de faire rapidement leur place au soleil, il faut réduire le plus possible l'abondance des végétaux qui leur font concurrence. Ce travail, effectué à l'aide de débroussailleuses dans les forêts québécoises, exige du temps et une main-d'œuvre qualifiée qui se fait rare. Il y aurait moyen de réduire la nécessité de recourir à ce type d'entretien sylvicole sans qu'il en coûte un sou, démontrent des chercheurs québécois dans une étude publiée par la revue Forests. Comment? En laissant plus d'orignaux faire le travail.
L'étude menée par Laurent De Vriendt et Jean-Pierre Tremblay, du Département de biologie, du Centre d'études nordiques et du Centre d'étude de la forêt, et par leurs collaborateurs a été réalisée dans la réserve faunique de Matane, l'une des régions du Québec où la densité d'orignaux est la plus élevée. Les chercheurs ont comparé ce qui se produisait dans des parcelles de 400 m2 installées dans des plantations d'épinettes blanches lorsqu'elles étaient clôturées ou accessibles aux orignaux et lorsqu'elles étaient soumises ou non à un débroussaillage mécanique.
Sept ans après la mise en terre des épinettes, les chercheurs ont constaté que:
la densité de jeunes épinettes est similaire dans les parcelles clôturées et ouvertes, une indication qui confirme que les orignaux ne s'en nourrissent pas
l'orignal réduit la densité d'espèces concurrentes de 7436 tiges/hectare alors que le débroussaillage la réduit de 691 tiges/hectare
le broutement par les orignaux réduit la croissance des plantes concurrentes et, conséquemment, il favorise la croissance des jeunes épinettes.
La supériorité de l'orignal sur la débroussailleuse s'explique facilement, souligne Jean-Pierre Tremblay. «La plantation a été soumise à une opération de débroussaillage mécanique cinq ans après la mise en terre des épinettes. Une partie des tiges des espèces concurrentes qui ont été coupées repousse par la suite. À l'opposé, le broutement des orignaux a lieu à longueur d'année, année après année.»
Dans les faits, l'orignal offre déjà ce service de débroussaillage biologique dans les régions où il est présent. Il y aurait toutefois moyen de profiter davantage de cet infatigable débroussailleur qui consomme, en moyenne, 10 000 kg de végétation par année, en arrimant la gestion forestière et la gestion de l'orignal, avance le professeur Tremblay.
«Par exemple, dans les premières années qui suivent la plantation d'épinettes sur un parterre de coupe, on pourrait réduire le nombre d'orignaux récoltés par les chasseurs dans ce secteur. S'il y a plus d'orignaux, le débroussaillage des plantations sera encore mieux fait, au point de réduire la nécessité de procéder à un débroussaillage mécanique. Comme toute la végétation concurrente sera à la disposition des orignaux, la densité de ses populations pourrait augmenter, ce qui devrait favoriser le succès de chasse dans les années subséquentes.»
Les auteurs de l'étude parue dans la revue Forests sont Laurent De Vriendt et Jean-Pierre Tremblay, de l'Université Laval, Alejandro Royo, de l'US Forest Service, Nelson Thiffault, de Ressources naturelles Canada, et Martin Barrette, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec.