Malgré ses airs de cactus, l’oursin est un animal en bonne et due forme. Pendant les premiers mois de vie, cet échinoderme se déplace au gré des courants, sur des centaines de kilomètres, avant d’adopter un mode de vie plus sédentaire sur les fonds marins. Les juvéniles qui s’établissent dans des habitats dénudés se nourrissent de détritus et, au besoin, ils se livrent au cannibalisme. Toutefois, arrivés à l’âge de 8 à 12 ans, ils aspirent à mieux. Leur rêve est simple: aller vivre à proximité d’un champ de grandes algues brunes (des laminaires), se servir à volonté dans ce buffet et, éventuellement, se reproduire. «Les taux de croissance des oursins sont très différents selon l’habitat où ils vivent, précise Clément Dumont. Pour qu’un oursin atteigne une taille de 50 mm, il faut 17 ans dans la zone des laminaires et 38 ans dans les zones dénudées.»
Comment les oursins parviennent-ils à trouver leur paradis marin alors qu'ils sont dépourvus de vision et que, au sommet de leur forme, ils couvrent à peine 5 mètres par jour? C'est ce qu’ont voulu savoir les trois chercheurs en suivant les déplacements d'une centaine de ces bêtes dans le secteur de Mingan. Pour y arriver sans perturber le comportement des oursins et sans mettre à trop rude épreuve leur patience, ils ont eu recours à une caméra sous-marine. «Il a fallu un peu d'imagination pour construire un trépied assez stable pour maintenir la caméra en place malgré les vagues sans toutefois entraver les déplacements des oursins», souligne Clément Dumont.
Les chercheurs ont filmé les oursins en plongée – c’est le cas de le dire – de façon à quantifier divers aspects de leurs déplacements. Ils ont ainsi découvert que ces échinodermes passent de 4 à 43 % de leur temps en mouvement. Dans les zones dénudées, leurs patrons de déplacement correspondent à ceux produits à l’aide d’un modèle de marche aléatoire. Dans les zones d’algues toutefois, leurs déplacements sont beaucoup plus courts et nettement plus directionnels. «Nous croyons que, sur de petites distances, les oursins sont en mesure de capter des signaux chimiques indiquant la présence de nourriture, avance Clément Dumont. En absence de tels signaux, les déplacements aléatoires seraient la meilleure stratégie pour maximiser les chances de trouver une source de nourriture discontinue comme les champs de laminaires.»
De nature purement fondamentale, cette recherche sur les pérégrinations des oursins a livré des conclusions qui pourraient guider les gestionnaires des pêches. L’oursin est exploité commercialement depuis 1994 au Québec. Ses gonades, qui peuvent représenter jusqu’à 25 % de son poids corporel, sont considérées comme un mets raffiné. «Si les pêcheurs récoltaient tous les oursins présents dans une zone de laminaires, il faudrait attendre plusieurs années avant que de nouveaux oursins provenant des profondeurs s’y installent, estime Clément Dumont. Jusqu’à présent, on sous-estimait le temps requis pour que les juvéniles atteignent une taille qui leur permette de se déplacer à la recherche de nourriture.»