Ce printemps, le chantier-école annuel en archéologie historique de l’Université Laval s’est déplacé sur un tout nouveau site de fouilles situé dans l’arrondissement des Rivières, en périphérie de Québec, au bord de la rivière Saint-Charles. Les fouilles s’y dérouleront sur une période de quatre ans sous la supervision des professeures Allison Bain et Karine Taché, du Département des sciences historiques. Une trentaine d’étudiantes et d’étudiants y ont travaillé entre le 24 mai et le 25 juin.
Le site a été nommé «la ferme de Cadet», du nom de Joseph-Michel Cadet, un riche homme d’affaires, munitionnaire général du Roi et propriétaire des lieux entre 1752 et 1766. «L’endroit est exceptionnellement bien préservé et présente un fort potentiel archéologique, explique la professeure Bain. En 2019, une intervention réalisée par la Ville de Québec a permis de mettre au jour les vestiges d’au moins trois bâtiments et des milliers d’artéfacts, dont certains remontent au début du 18e siècle. Les fouilles permettront de mieux cerner l’évolution de ce site agricole et de comprendre les modes de vie des habitants qui y ont vécu.»
De 2017 à 2019, le chantier-école a réalisé des fouilles sur le site Anderson, lequel témoigne de l’histoire de l’arrondissement de Limoilou. Les travaux ont permis de mieux comprendre la transition d’espaces voués essentiellement à l’agriculture à une urbanisation croissante et contrôlée. La ferme de Cadet s’inscrit dans cette tendance.
«Parmi nos objectifs, nous voulons documenter les relations entre les différentes structures présentes sur le site, souligne la professeure. Nous voulons mieux comprendre la construction et l’organisation de deux maisons, la première datant du 18e siècle, la seconde du 19e. De plus, nous voulons confirmer si les traces d’une autre structure appartiennent à l’une des maisons, ou peut-être à un bâtiment secondaire datant de la fin du 17e siècle.»
Les deux archéologues veulent aussi documenter l’évolution de la vocation agricole du site et sa transformation en site périurbain. Historiquement, la fonction agricole de ce secteur est documentée du 17e au 20e siècle. Un autre objectif consistera à documenter la transition entre le régime français et le régime anglais dans l'occupation du site dans un contexte agricole.
«La principale découverte consiste en des vestiges qui témoignent d’une occupation plus riche que ce que nous avions imaginé au 18e siècle, indique Allison Bain. Une maison montre des phases de construction et une culture matérielle qui reflète un certain pouvoir d’achat. Nous avons notamment retrouvé une magnifique pipe en terre cuite argileuse blanche à motif végétal, une fiole pharmaceutique Davis du 19e siècle, un dé à coudre, une petite cuiller, un fragment de manche d’ustensile en os avec motif hachuré et même une plaque d’immatriculation.»
Dans les Hautes-Laurentides
Karine Taché mène des fouilles archéologiques dans le secteur de Nominingue, dans les Hautes-Laurentides, depuis maintenant sept ans. Cet été, il s’agissait de son premier chantier à titre de professeure de l’Université Laval. Les fouilles se sont déroulées du 4 au 23 juillet. Cinq étudiantes et étudiants l’accompagnaient, dont quatre de l’Université Laval.
«Mon projet de fouilles, dit-elle, comprenait deux parties. La première semaine a consisté à rechercher des sites archéologiques le long de la rivière du Lièvre. Nous avons procédé par petits trous de sondage qui nous ont permis d’en trouver deux. Les deuxième et troisième semaines, nous sommes retournés sur deux sites connus sur le bord du grand lac Nominingue.»
La professeure Taché s’intéresse à l’histoire des premiers peuples avant l’arrivée des Européens. Elle rappelle que les traces d’occupation par des peuples nomades dans les Hautes-Laurentides datent d’au moins 7000 ans. «Ces chasseurs-cueilleurs-pêcheurs, soutient-elle, sont revenus régulièrement, année après année. Ce n’étaient pas des agriculteurs sédentaires. On sait que les Anishinabés, ou Algonquins, visitaient le territoire il y a 7000 ans. D’ailleurs, trois membres de la communauté anishinabée ont participé aux fouilles cet été.»
Les fouilles ont permis la mise au jour de plusieurs artéfacts. Ceux-ci comprennent des fragments de pointes de projectiles, des grattoirs possiblement utilisés sur les peaux d’animaux, des extrémités en pierre d’outils dont on peut supposer que le manche était en bois, des fragments de pots en céramique servant à la cuisson et des ossements d’animaux brûlés et blanchis par la chaleur.
«Jusqu’à présent, mes campagnes de fouilles ont permis la découverte d’une quinzaine de sites archéologiques, souligne-t-elle. J’essaie de lier ça avec les autres sites découverts au Québec et dans le Nord-Est américain. On sait encore très peu de choses sur le potentiel archéologique de cette grande région. On connaît par contre l’existence de réseaux d’échanges de différents peuples sur de longues distances. Mais comment étaient-ils connectés? Quels matériaux circulaient? On a trouvé des objets en pierre dont le matériau ne provient pas des Hautes-Laurentides, mais plutôt du lac Mistassini, au Québec, du Maine et de la région des Grands-Lacs.»
Le passé de la nation abénakise
Du 19 au 30 juillet, la professeure Bain et sa collègue la géoarchéologue Najat Bhiry, du Département de géographie, ont participé à des fouilles menées sur le site du Fort d’Odanak, dans la région de Sorel. Elles étaient accompagnées de deux étudiantes en archéologie aux cycles supérieurs. Le chantier était un projet du Groupe de recherche en archéométrie (GRA) de l’Université Laval, en collaboration avec le Grand Conseil de la nation waban-aki. Il était placé sous la direction de l’archéologue Geneviève Treyvaud, membre du GRA.
«Dix ans de fouilles à cet endroit ont pris fin cet été, explique Allison Bain. Les travaux visaient à comprendre l’histoire de la nation abénakise, entre autres depuis l’époque de la Nouvelle-France. D’ailleurs, de jeunes membres de ce premier peuple, âgés de 11 à 14 ans, ont passé une semaine sur le site dans le cadre d’un camp de jour en archéologie afin de s’immerger dans la culture abénakise.»
Cet été, les fouilleurs ont repéré plusieurs fosses d’entreposage ou de déchets datant du 18e et du 19e siècles. De nombreux artefacts ont été trouvés.
«Les fosses sont très riches en culture matérielle qui témoignent de la vie quotidienne, poursuit-elle. Nous avons trouvé beaucoup de fragments de céramique de la période historique, ainsi que des centaines de perles de verre, des os de poissons et de mammifères, mais surtout des objets qui suggèrent une occupation pendant le 18e et le 19e siècles. Une pierre à fusil remontant possiblement à la fin du 18e siècle et un clou tréfilé manufacturé au 19e siècle et crochi pour en faire un hameçon sont des exemples.»