20 décembre 2024
Pour que les aspirations universitaires des femmes afrodescendantes se réalisent
Chapeau bas à la professeure Maman Joyce Dogba, lauréate du prix Robbins-Ollivier d’excellence en matière d’équité pour son projet de coconception d’une expérience universitaire culturellement sécuritaire et enrichissante pour ces femmes
Depuis une dizaine d'années, Maman Joyce Dogba, professeure à la Faculté de médecine, réfléchit aux entraves qui freinent l'ascension et l'épanouissement des femmes afrodescendantes dans le milieu universitaire. Elle a vu, au fil des ans, des étudiantes, des chercheuses et des professeures de cette communauté – des femmes dont les capacités étaient à tout le moins égales à celles de leurs collègues masculins et caucasiens – abandonner leurs rêves ou cesser de progresser dans leur carrière. Pourquoi?
Ces femmes s'imposent-elles elles-mêmes des limites? Peuvent-elles agir pour améliorer leurs perspectives d'avenir et celles de leurs consœurs? Le milieu universitaire, pour sa part, peut-il faire un geste concret pour changer la situation?
Le projet Coconception d'une expérience universitaire et de recherche culturellement sécuritaire et enrichissante pour les chercheuses afrodescendantes de l'Université Laval découle de cette longue réflexion. Projet hybride alliant recherche et intervention, il vise à repenser, avec les principales intéressées, la participation des femmes noires dans les études, la recherche et l'enseignement universitaires.
Un prix pour soutenir les efforts d'équité
Le prix Robbins-Ollivier d'excellence en matière d'équité est attribué par le Programme de chaires de recherche du Canada pour soutenir financièrement pendant un an, à hauteur de 100 000$, un projet visant à lutter contre les inégalités dans le domaine de la recherche. Chaque année, les établissements universitaires canadiens peuvent soumettre la candidature d'un membre de leur corps professoral à la tête d'une «initiative audacieuse et potentiellement transformatrice qui défie le statu quo, provoque le changement et contre les obstacles systémiques persistants dans l'écosystème de recherche et le milieu universitaire.»
«À long terme, mon grand objectif est la création d'une communauté et d'un parcours sécuritaire pour les femmes noires francophones dans les universités canadiennes. Pour l'instant, je lance un projet pilote à l'Université Laval pour poser des fondations», explique la récipiendaire du prix , qui confie s'être inspirée de sa propre expérience de racisme et de son parcours de combattante pour concevoir son projet formé de 4 composantes.
D'abord, une dizaine de volontaires répondant aux critères de sélection – des femmes afrodescendantes ayant étudié ou envisageant sérieusement d'étudier à l'Université Laval, peu importe le domaine d'études, et ayant connu des obstacles – bénéficieront d'un accompagnement professionnel personnalisé pour identifier les blocages et maximiser leurs atouts.
«On leur demandera, en quelque sorte, de faire une autopsie verbale de leur parcours. Quel était leur rêve d'études et pourquoi ce rêve est-il mort?», précise la professeure Dogba.
Ensuite, à partir des histoires de ces femmes, des films d'animation seront produits et diffusés dans la communauté afrodescendante afin que la jeune génération connaisse les barrières potentielles aux études universitaires et les solutions pour les surmonter.
Le troisième bloc du projet a été inspiré par la passion de Maman Joyce Dogba pour la cuisine. «Nous ferons des séances de cuisine collective pour favoriser l'estime de soi et les interactions sociales. J'ai remarqué que la cuisine est un espace où plusieurs personnes se sentent bien, sans complexes. On peut y jaser librement. On va donc profiter de cet espace convivial pour discuter, dans une atmosphère différente, des obstacles qui freinent la carrière», explique Maman Joyce Dogba, qui par ailleurs est la promotrice principale de NeoSaveurs, un organisme qui a pour mission sociale d'accompagner les personnes issues des communautés culturelles dans l'adoption de meilleures habitudes alimentaires et culinaires durables pour leur santé et leur bien-être.
Enfin, 3 bourses de 5000$ seront octroyées à des chercheuses noires.
Soulager la souffrance et soutenir son prochain
Maman Joyce Dogba est professeure au Département de médecine de famille et de médecine d'urgence. Formée en médecine au Togo, son pays d'origine, elle a choisi cette voie parce qu'elle souhaitait avant tout aider les gens, les soulager de leurs maux et de leurs fardeaux.
Toutefois, après avoir poursuivi son apprentissage clinique en pédiatrie à Poitiers, en France, elle a constaté qu'elle était insatisfaite de l'aide qu'elle pouvait apporter.
«Je me suis alors rendu compte que ce qui empêchait la majorité des gens, sur le continent africain du moins, d'avoir accès aux soins, c'est la façon dont le système est organisé», explique-t-elle.
Elle décide alors d'aller étudier l'économie de la santé, au Sénégal, puis elle s'inscrit en 2005 à un doctorat en santé publique, option organisation des soins, à l'Université de Montréal.
Embauchée par l'Université Laval en 2014, elle s'intéresse beaucoup aux pratiques collaboratives en partenariat avec les patientes et patients. «Mes premiers projets de recherche visaient à mettre ces personnes au centre des soins. Puis, j'ai été attirée par une catégorie de patients en particulier, les personnes issues des communautés ethnoculturelles. "Qui mieux que moi peut comprendre ces personnes à qui je peux m'identifier?", me suis-je dit. J'ai donc voulu coconstruire avec elles des outils pour adapter les soins à leur vécu, à leur trauma. Il faut revoir les préjugés de part et d'autre, chez les usagers et chez le personnel soignant, puisque la science montre que la relation thérapeutique contribue à 30% de la guérison», explique la chercheuse.
Un autre volet important de ses recherches s'articule autour des projets de santé à l'international. «Grâce à ces projets, j'ai l'impression d'être en harmonie avec mes origines», déclare celle qui a, par ailleurs, beaucoup apprécié ses tâches de directrice de la santé mondiale et planétaire à la Faculté de médecine.
En plus de ses tâches d'enseignement et de recherche, Maman Joyce Dogba, par son engagement social, œuvre à développer, conjointement avec les personnes issues de communautés, des stratégies efficaces pour mettre en application les connaissances scientifiques en lien avec l'alimentation et la nutrition.
— Maman Joyce Dogba, professeure à la Faculté de médecine
Et aujourd’hui, est-elle satisfaite du soutien qu’elle peut apporter à son prochain? «J’étais autrefois une personne humble et réservée. Cependant, mon parcours m’a permis de réaliser que ce sont des réflexes qu’on cultive à l’intérieur de soi d’entretenir l’invisibilité de ces minorités dites visibles. Ça a été une thérapie que de me rendre visible. Aujourd’hui, je suis fière de mon projet pour soutenir les chercheuses universitaires noires. Je veux donc être visible et dire à la nouvelle génération que le chemin à parcourir n’est pas toujours facile, mais que c’est possible de réaliser ses rêves», conclut Maman Joyce Dogba, qui peut effectivement être fière d’être un modèle de réussite pour les femmes afrodescendantes.
Mille mercis, Madame Dogba, pour votre soutien aux femmes afrodescendantes, ainsi que toutes vos réalisations au bénéfice des communautés ethnoculturelles à Québec.
Visionner une vidéo présentant des recherches effectuées par Maman Joyce Dogba:
Témoignage
Maman Joyce Dogba exprime régulièrement sa passion pour la recherche, qui est très contagieuse. Nous la considérons comme une véritable coach parce qu’elle fait plus que souhaiter notre réussite, elle y contribue de façon proactive et persistante. Elle est toujours prompte à recevoir chaque membre de son équipe sans distinction. La qualité principale qui facilite le modèle de gestion de Maman Joyce Dogba est sa sensibilité culturelle unique, laquelle a contribué et continue de contribuer à notre épanouissement général.
Jean-Jonathan Gozo, Johanne Ouédraogo, Ndeye Thiab Diouf, Komla Dovenè Kadzahlo, Inheldia Cossou-Gbeto, Essona-na Palakassi et Mamadou Lamine, tous étudiantes et étudiants actuels ou anciens ou professionnels et professionnelles de recherche