Dans une décision publiée le 11 septembre, la Cour supérieure du Québec renvoie à leurs devoirs les gouvernements du Québec et du Canada en matière d’aide médicale à mourir. La juge a considéré en effet que les malades chroniques qui vivent de grandes souffrances devraient avoir accès à l’aide médicale à mourir, même s’ils ne sont pas en fin vie. L’analyse de la juriste Christine Morin, titulaire de la Chaire de recherche Antoine-Turmel, sur la protection juridique des aînés.
Pourquoi le Québec a l’air de se faire taper sur les doigts avec cette décision, alors que plusieurs experts soulignent le travail de pionnier de la province à ce sujet?
Il faut bien comprendre que les tribunaux se définissent comme des protecteurs de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce qui a peut-être compliqué les choses dans ce dossier, c’est que les élus québécois ont adopté la loi sur l’aide médicale à mourir en 2014, alors même que le Code criminel restreignait la portée de leur législation. On comprend donc qu’ils aient agi avec prudence en limitant cette mesure à des malades en fin de vie imminente. En 2015, la Cour suprême, avec l’arrêt Carter, a reconnu la possibilité de demander l’aide à mourir à un médecin selon les situations prévues par la cour. Cela ne contrevenait donc plus au Code criminel. Cet arrêt ne parle pas de fin de vie ou de mort raisonnablement prévisible cependant, contrairement aux législations québécoises et canadiennes. La décision de la Cour supérieure va dans le même sens. Elle doit en effet s’assurer que les législations actuelles ne contreviennent pas à la Charte canadienne des droits et libertés, hiérarchiquement supérieure à toutes les autres lois. Cela dit, je trouve que le Québec est à l’avant-garde sur ces questions délicates comparé à plusieurs pays. La commission non partisane, présidée par Véronique Hivon, a permis d’en arriver à un fort consensus social et a agi avec beaucoup de courage et de prudence.
Que va-t-il se passer maintenant?
Le tribunal accorde un délai de six mois aux législateurs québécois et canadiens pour corriger la loi et la rendre conforme aux Chartes des droits et libertés. Pendant ce délai, c’est donc le statu quo. Durant cette période, personne ne peut demander l’aide médicale à mourir s’il n’est pas en fin de vie et que sa mort n’est pas raisonnablement prévisible, à l’exception des citoyens qui ont interpellé le tribunal. Par ailleurs, les gouvernements ont évidemment la possibilité de porter la décision du tribunal en appel, et il faudra voir quelles décisions ils prennent. Du côté du Québec, le législateur s’intéresse déjà à un autre aspect de ce sujet très délicat. À la demande du gouvernement, un groupe d’experts, coprésidé par Nicole Fillion, directrice générale du Curateur public du Québec, et Jocelyn MacLure (président du Comité de l’éthique en science et en technologie et professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Laval, NDLR), réfléchit aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir. En juin, des médias ont publié certaines portions de leur rapport. Selon ces fuites, quelqu’un atteint de la maladie d’Alzheimer, par exemple, pourrait demander par avance au personnel soignant qu’on mette fin à sa vie, au moment indiqué dans sa demande. Une grande partie de la population semble en faveur de telles mesures. Actuellement, cette disposition est impossible puisque la personne doit présenter sa demande en ayant tout son jugement.
Certains patients rédigent des instructions à propos de leur fin de vie. Quelle est leur portée juridique?
Il existe deux types de documents. Le premier, le mandat de protection, que l’on appelait autrefois le mandat donné en prévision d’inaptitude, charge une personne choisie par le patient d’exécuter ses instructions. Le mandataire doit discuter avec le personnel médical des décisions concernant le malade, selon les désirs rédigés par ce dernier. Ce document n’a rien de coercitif, ce qui laisse toute latitude au mandataire pour agir dans l'intérêt supérieur de la personne à ce moment-là. L’autre type de mesure, mis en place en même temps que l’aide médicale à mourir, concerne quant lui les Directives médicales anticipées (DMA). À la différence du mandat de protection, les DMA ont un caractère contraignant. Le personnel soignant doit absolument suivre les instructions du patient à propos de cinq soins précis, au moment de sa fin de vie. Parmi eux, on retrouve l’alimentation, l’hydratation et la réanimation cardio-respiratoire. Au fond, on laisse la nature suivre son cours en interrompant un soin.