Dans l’ombre des jeunes filles en fleurs
Expert en sociologie de la sexualité, Michel Dorais publie un livre sur la prostitution juvénile et les gangs de rue
Depuis la sortie de son livre Jeunes filles sous influence. Prostitution juvénile et gangs de rue, le 22 août, Michel Dorais n’a pas une seconde à lui. Multipliant les entrevues avec les médias, ce professeur et chercheur à l’École de service social se dit même un peu surpris de l’immense intérêt suscité par la parution de l’ouvrage, chez VLB éditeur. Rédigé avec la collaboration de Patrice Corriveau de l’Université d’Ottawa, le livre est le fruit d’une enquête menée auprès d’intervenants sociaux et de policiers, ainsi qu’auprès de jeunes filles ayant été impliquées dans la prostitution juvénile. Un sujet brûlant d’actualité que le sociologue aborde de front, lui qui n’a de cesse de faire mieux comprendre et par là d’expliquer les «causes impopulaires», comme il le dit lui-même, que sont l’homophobie, l’abus sexuel au masculin et la prostitution.
«Les gens qui sont marginalisés en raison de leur vécu sexuel ont besoin qu’on leur prête une voix», affirme Michel Dorais, qui se définit comme un chercheur engagé. «Un monde idéal serait un monde où on tenterait de mieux comprendre les autres avant de se permettre de les juger.» Dans Jeunes filles sous influence, l’auteur brosse un tableau de ces garçons et de ces filles qui, grâce au proxénétisme pour les uns et à la prostitution pour les autres, espèrent sortir d’une vie qui leur semble terne, sans amour et sans avenir. La réalité est pourtant tout autre, la désillusion, la perte d’estime de soi-même étant le lot des jeunes qui empruntent ce chemin qui se révèle à l’usage pavé de mauvaises surprises. Utilisant une langue claire et accessible, Michel Dorais ne déroge pas à la règle qu’il s’est fixée depuis 20 ans et des poussières qu’il publie essais et recherches et qui est en quelque sorte sa marque de commerce : être compris du public et vulgariser les connaissances, dans une volonté de faire œuvre utile.
Sur le terrain de la misère humaine
Né dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve au début des années 1950, Michel Dorais a vite su qu’il ferait des études universitaires. Après avoir complété un baccalauréat et une maîtrise en service social à l’UQAM, il effectue son doctorat à l’Université Laval. Dérivé de sa thèse, le livre Tous les hommes le font. Parcours de la sexualité masculine, paru en 1987, devient vite un best-seller. Même chose pour sa recherche posdoctorale, «ça arrive aussi aux garçons. L’Abus sexuel au masculin (1997), traduite en anglais sous le titre Don’t Tell. The Sexual Abuse of Boys, qui connaît toujours un grand succès au Canada et aux États-Unis. D’autres écrits jalonnent sa route de chercheur comme Les enfants de la prostitution (1987), La mémoire du désir (1994), Éloge de la diversité sexuelle (1999), Mort ou fif. La face cachée du suicide chez les jeunes garçons (2001) et Sains et saufs. Petit manuel de lutte contre l’homophobie (2005).
«Je suis un travailleur infatigable, répond Michel Dorais, quand on lui demande où il puise les forces pour mener à bien tous ses projets. Je travaille même en vacances, je suis passionné par ce que je fais.» Reconnu pour sa distraction proverbiale, il lui arrive de se présenter à ses cours avec des chaussettes dépareillées, chose que ses étudiants et étudiantes ne manquent pas de lui faire remarquer, conquis par ce professeur qui se distingue par sa propension à donner de nombreux exemples en classe. Michel Dorais a l’enseignement dans le sang, lui qui rêvait d’enseigner à l’époque où il était intervenant psycho-social «sur le terrain» à Montréal. «De la misère humaine, j’en ai vu et je continue d’en voir, souligne-t-il. Mais c’est une satisfaction de voir que mes recherches aident les autres.» Et de citer l’exemple de cette femme dont le fils homosexuel s’était suicidé parce que d’autres n’acceptaient pas son orientation sexuelle et qui, après la lecture de Mort ou fif, a écrit à Michel Dorais: «Votre livre a changé ma vie».
La lumière au bout du tunnel
Dans Jeunes filles sous influence, Michel Dorais explore le monde de la prostitution juvénile – qui s’apparente selon lui au viol, d’où la nécessité de la prévenir et de la traiter comme quelque chose de grave - en une succession de courts chapitres. Quels sont les profils types des adolescentes prostituées par les gangs? Qui sont les clients de la prostitution juvénile? Pourquoi est-ce si difficile d’en démanteler les réseaux? Comment aider ces jeunes filles et contrer la prostitution juvénile? À cette dernière question, Michel Dorais avance quelques principes d’intervention: être capable de créer une relation de confiance avec elles, l’important étant de les comprendre et de vouer un réel intérêt à leur sort. «Il faut accepter d’apprendre d’elles, de leur expérience et de leur différence, explique Michel Dorais. Les juger marginales, déviantes, immatures, c’est se couper de la relation de dialogue nécessaire à toute relation d’aide. Comprendre la vision que chacune a de sa prostitution et des circonstances qui l’y ont amenée demeure donc indispensable.»
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