Les parvenus de la liberté
Le sociologue Jean-Jacques Simard prône
un Québec lucide, solidaire et responsable de son avenir
À l'automne 2005, un groupe de citoyens inquiets du
cours des choses au Québec lançaient le Manifeste
pour un Québec lucide. Il y avait péril en
la demeure, affirmaient les signataires, d'où la nécessité
de se pencher sérieusement sur le déclin démographique,
la concurrence du marché asiatique et l'ampleur de la
dette publique. Quelques jours plus tard, un autre groupe répliquait
au second par le Manifeste pour un Québec solidaire.
Critiquant les arguments jugés alarmistes de ces "lucides"
embourbés dans les ornières capitalistes, les "solidaires"
proposaient une vision humaniste du Québec, mettant entre
autres l'accent sur l'environnement, le développement
durable et les droits collectifs. Six mois plus tard, les clameurs
se sont tues et on n'entend plus parler ni des projets des uns,
ni de ceux des autres. Les deux manifestes sont demeurés
lettre morte.
"Les protagonistes des deux camps sont restés
sur leurs positions, le citoyen ordinaire ne s'est pas engagé
et le débat n'avance pas", a souligné Jean-Jacques
Simard, professeur au Département de sociologie, lors
de la conférence qu'il a donnée le 15 mars au pavillon
Charles-De Koninck devant une salle bondée. Le titre de
sa conférence donnait d'ailleurs le ton de ce qui a été
finalement une réflexion à voix haute du sociologue
sur l'avenir de la société québécoise:
"Pour un Québec lucide, solidaire et responsable!"
"D'un côté comme de l'autre, on assume que
le Québec est capable d'assumer ses choix et ses responsabilités,
a expliqué Jean-Jacques Simard. Il y a comme une espèce
de sérénité sur la capacité des Québécois
de s'en sortir."
Le syndrome du y-a-qu'à
Cette rhétorique de l'optimisme se traduit par le
syndrome du y-a-qu'à, attitude consistant à proposer
des solutions à tous les problèmes: y-a-qu'à
réduire le coût de la dette, y-a-qu'à hausser
les tarifs d'électricité, y-a-qu'à rendre
l'éducation encore plus gratuite, y-a-qu'à faire
payer les riches, etc. Comme il n'existe pas de solution définitive
pour régler tous les tiraillements qui affectent la société
québécoise, le Québec ressemble à
un funambule sur sa corde raide qui sait qu'il doit continuer
à aller de l'avant s'il ne veut pas tomber. Selon le sociologue,
la difficulté de faire des choix tient peut-être
à la complexité des choses. "À cause
de l'augmentation fulgurante des coûts de santé
qui se profile à l'horizon, la question de la dette risque
d'être secondaire au cours des prochaines années",
a indiqué Jean-Jacques Simard. De toute façon,
pas question d'alourdir la charge des pauvres, qui en ont déjà
assez sur le dos.
Doit-on alors augmenter les taxes? Appliquer le principe du pollueur-payeur?
Faire payer les riches davantage? Ne nous emballons pas. Une
chose est certaine: il faut poursuivre le développement
économique. "Le Québec a fait des pas de géant
depuis 50 ans, d'affirmer le conférencier. Les possibilités
de vivre en français en Amérique se sont améliorées,
de même que les conditions de vie individuelles. Plus rien
n'est fermé aux héritiers des Canadiens français
que nous sommes. Dans un sens, nous sommes des parvenus de la
liberté."
Selon Jean-Jacques Simard, l'enjeu actuel est la capacité
politique du Québec d'assumer son destin. Fait notoire,
aucun des deux manifestes, qu'il provienne des lucides ou des
solidaires, ne parle de la question souverainiste comme faisant
partie des solutions à envisager. "Jean-Paul Sartre
a dit un jour que la liberté, c'était de choisir
ses contraintes, a noté le sociologue. Il est certain
que le débat entourant l'avenir du Québec contribue
à définir nos contraintes. Nous devrons donc être
passablement lucides et passablement solidaires, parce que nous
sommes responsables de ce que nous deviendrons."
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