Une tradition sur le gril
Le réchauffement climatique menace l'élevage
des rennes chez les Lapons
Tradition séculaire dans les pays scandinaves, l'élevage
des rennes pourrait subir d'importants bouleversements si le
réchauffement climatique actuel se poursuit. "Je
ne crois pas que cette tradition va disparaître, mais certains
aspects de la gestion des troupeaux risquent de changer considérablement
à long terme. Dans le pire des scénarios, on pourrait
devoir passer d'un système d'élevage semi-domestique
à un système d'élevage domestique",
a avancé le chercheur Robert Weladji, du Département
de biologie, lors d'une conférence présentée
devant les membres du Centre d'études nordiques le 17
mars. La principale cause de ce bouleversement appréhendé?
Des hivers trop neigeux qui risquent de couper les vivres aux
rennes.
En Norvège, 2 400 Lapons s'adonnent encore aujourd'hui
à l'élevage semi-domestique de quelque 180 000
rennes, des bêtes connues ici sous le nom de caribou. Ces
cervidés paissent librement une bonne partie de l'année
sur 40 % du territoire norvégien et leurs gardiens ne
les rassemblent qu'au moment du marquage et de l'abattage. "Environ
80 % des jeunes nés en mai sont abattus à l'automne",
signale le chercheur. La viande de renne est un produit de luxe
vendu sur le marché européen et environ 10 % des
Lapons tirent encore leur principal revenu de ce commerce. Cette
activité économique est encore plus importante
en Suède et en Finlande où les cheptels de rennes
comptent plus de 400 000 têtes.
Spécialiste des grands mammifères et attaché
de recherche à la Chaire industrielle CRSNG-Produits forestiers
Anticosti, Robert Weladji a passé plusieurs années
en Norvège pour y étudier l'impact des changements
climatiques sur les rennes. Les analyses qu'il a effectuées
à partir de données recueillies sur une période
de dix ans indiquent que les conditions climatiques moins rigoureuses
sont défavorables à ces animaux. D'une part, le
poids à la naissance et le taux de croissance des faons
sont plus bas lorsque les conditions climatiques sont plus douces.
Les hivers chauds et neigeux semblent particulièrement
éprouvants pour cette espèce parce que la couche
de neige limite l'accès aux lichens dont ils se nourrissent,
ce qui cause un stress nutritionnel chez les femelles pendant
la gestation. Par ailleurs, les étés chauds favorisent
le développement des insectes qui dérangent les
faons pendant une période cruciale de leur développement.
Enfin, fait étonnant, moins de mâles viennent au
monde lors des années plus chaudes. "Il peut y avoir
de 5 % à 10 % moins de mâles, ce qui a un impact
appréciable sur les revenus des éleveurs, parce
que les mâles produisent plus de viande", signale
Robert Weladji.
Le manque de nourriture pourrait pousser les rennes à
changer leurs routes migratoires, ce qui laisse présager
des conflits avec les autres utilisations du territoire, notamment
le tourisme et la foresterie. Au pire, la situation pourrait
contraindre les éleveurs à fournir la nourriture
à leur troupeau, ce qui constituerait un pas supplémentaire
vers la domestication complète de l'espèce. Robert
Weladji se garde toutefois de prédire la fin du mode de
vie traditionnel lapon. "Dans ce dossier, il est difficile
de faire des prédictions pour deux raisons. D'une part,
l'homme peut agir sur la donne, et d'autre part, les animaux
se révèlent souvent beaucoup plus adaptables qu'on
ne le pense."
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