Allez vous faire voir
Les graffiteurs marquent l'espace urbain de
leurs traces contestataires
Pour le graffiteur, graffiter constitue un moyen d'exister
sans se faire voir et un moyen de se faire voir sans se faire
entendre. En marquant illégalement les murs des bâtiments
des villes, le graffiteur sait qu'il contrevient à l'autorité
et qu'il joue avec le feu. Toutefois, ce geste lui permet de
laisser sa trace, de prendre symboliquement possession de la
ville. Discrétion et rapidité sont de mise dans
cette opération effectuée dans l'ombre mais qui
révèle au grand jour le besoin du graffiteur d'habiter
la ville à sa façon, de s'approprier l'espace pour
peut-être mieux y respirer.
C'est l'un des constats que fait Alexandre Ollive dans son mémoire
de maîtrise en géographie. À l'instar d'une
douzaine d'étudiants et d'étudiants à la
maîtrise, il a livré les résultats de ses
recherches, lors de la 5e édition du colloque étudiant
du Département de géographie qui a eu lieu le 17
mars. "J'ai toujours été impressionné
par le nombre de graffitis qu'on retrouve dans les villes, dit
Alexandre Ollive pour expliquer son choix de sujet d'étude.
Ils sont autant présents dans les villes américaines
que dans les villes européennes. C'est un phénomène
de société important."
Pour les fins de sa recherche intitulée "Mon mur,
ma rue, mon espace public: Oppression, transgression et création
de territoire par les graffiteurs de Québec", Alexandre
Ollive a interviewé 68 graffiteurs et les a suivis dans
les rues de Québec. "Contrairement à l'opinion
généralement répandue selon laquelle les
graffiteurs proviennent de milieux défavorisés,
mes interlocuteurs sont issus de la classe moyenne, affirme Alexandre
Ollive. Ils ont entre 14 et 30 ans; certains étudient
au cégep et d'autres à l'université. En
dehors du temps passé à graffiter - qui dépasse
rarement une heure par semaine - ils vaquent à leurs occupations,
comme tout le monde. Ils ne se considèrent pas comme des
marginaux mais bien comme des excentriques et des contestataires.
Ils affirment apprécier la décharge d'adrénaline
qui accompagne le geste de graffiter." Parmi les motivations
des graffiteurs figurent le besoin de passer un message, de faire
leur marque, ou tout simplement d'être reconnus - au sens
propre et figuré - par d'autres graffiteurs.
Faire parler la ville
Concentrant leurs activités dans le quartier Saint-Jean-Baptiste,
le Vieux-Québec et la zone industrielle du secteur Saint-Malo,
les graffiteurs qu'Alexandre Ollive a rencontrés éprouvent
du respect pour le travail de leurs congénères.
En effet, il ne leur viendrait jamais à l'esprit de dessiner
un graffiti sur un mur déjà "occupé".
"Généralement, les graffitis les plus recherchés
d'un point de vue esthétique sont situés un peu
à l'extérieur du centre-ville, constate Alexandre
Ollive. En effet, les graffiteurs doivent prendre leur temps
pour réaliser ce qu'ils ont déjà en tête
et ont donc besoin d'être à l'abri des regards."
Il existe cependant des "espaces légaux", permis
par la Ville de Québec, où des graffiteurs de grand
talent ont pu s'adonner en toute quiétude à leur
passion. C'est le cas des graffitis qu'on retrouve sous l'autoroute
Dufferin-Montmorency, qui sont de véritables oeuvres d'art.
S'il est clair que les murs de la ville doivent être protégés
du vandalisme, Alexandre Ollive souhaite que les autorités
municipales fassent preuve d'une plus grande ouverture quant
à la participation des habitants à créer
la ville dans laquelle ils vivent. "Je verrais très
bien la présence de murs vierges dans certains quartiers,
dit l'étudiant. Les gens pourraient venir y dessiner,
embellir l'espace, faire parler les murs et par là, faire
parler la ville."
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