Dans le dernier droit Des professionnels de la santé peu favorables à la sédation en fin de vie pour soulager les douleurs morales Est-il acceptable de faire dormir des mourants dont on ne parvient pas à soulager les souffrances? Oui, mais uniquement si leurs douleurs sont d'ordre physique et que tous les autres traitements ont échoué, estiment des professionnels de la santé interrogés dans le cadre d'une étude menée par des chercheurs de l'Université. Danielle Blondeau, Isabelle Martineau et Gaston Godin, de la Faculté des sciences infirmières, Louis Roy, du CHUL, et Serge Dumont, de l'École de service social, ont questionné 124 médecins et pharmaciens oeuvrant dans des centres de soins palliatifs québécois afin de documenter leur opinion sur la pratique de sédation en fin de vie.
Les multiples appellations de la sédation en fin de vie - faire dormir le patient, sommeil induit, sommeil artificiel, sédation profonde, sédation terminale, sédation palliative, sédation pharmacologique totale et euthanasie lente - témoignent de l'ambiguïté qui entoure cette pratique et du malaise qu'elle suscite au sein des équipes soignantes, en particulier dans le cas de souffrance morale. Certains y voient une pratique qui a tout de l'euthanasie ou du suicide assisté sauf le nom. D'autres considèrent cette intervention comme une avenue acceptable pour mettre un terme à des souffrances physiques ou morales intolérables en attendant la mort. "La sédation en fin de vie est une pratique clinique controversée, mal définie et dont les applications varient considérablement", soulignent les chercheurs dans l'étude qu'ils signent dans une récente édition du Journal of Palliative Care. Quatre scénarios Pour pallier l'absence de recherches sur le sujet, les chercheurs ont élaboré quatre scénarios impliquant des patients cancéreux en phase terminale dont les souffrances ne pouvaient être contrôlées à l'aide des traitements conventionnels. Dans chaque cas, les douleurs étaient d'ordre physique ou moral, et l'espérance de vie du patient variait de moins de dix jours à plus d'un mois. Les chercheurs ont soumis ces scénarios aux 124 participants en leur demandant d'exprimer leur opinion sur le recours à la sédation en fin de vie dans ces différentes situations. La prescription de drogues servant à maintenir un état d'inconscience continue est un acte médical, mais les chercheurs ont également voulu connaître l'opinion des pharmaciens intégrés aux équipes de soins palliatifs sur cette délicate question.
Sur une échelle de 1 (fortement en désaccord) à 6 (fortement en accord), le score obtenu par les participants dans les cas de douleurs physiques était de 5,2 lorsque l'espérance de vie était courte et de 4,9 lorsque l'espérance de vie était plus longue. Ces scores passaient respectivement à 3,2 et à 2,7 pour les douleurs d'ordre existentiel (3 correspondant à "légèrement en désaccord"). Pour ce type de souffrances, les répondants suggéraient d'avoir recours à un psychologue, à un travailleur social ou à un aumônier plutôt qu'à la sédation. Les chercheurs n'ont noté aucune différence dans les scores obtenus par les médecins et les pharmaciens.
Spécialiste de l'éthique des soins de santé, Danielle Blondeau se dit rassurée par le fait que la pratique de la sédation ne soit pas banalisée en soins palliatifs. "Ni l'âge du répondant, ni son expérience en soins palliatifs, ni le pronostic du patient n'avait d'influence sur l'attitude vis-à-vis la sédation en fin de vie, souligne-t-elle. Il y a une énorme prudence à recourir à la sédation même lorsque les autres traitements ont échoué, surtout lorsqu'il est question de souffrance existentielle." La professeure n'estime pas que les médecins fuient leurs responsabilités en remettant le problème à d'autres membres de l'équipe soignante. "Il faut se demander si le traitement de la douleur existentielle est un acte médical. Est-ce vraiment au médecin de s'en occuper? N'est-ce pas la responsabilité de toute l'équipe soignante?", s'interroge-t-elle.
Les demandes de sédation pour soulager les souffrances morales ne sont pas monnaie courante dans les centres de soins palliatifs, souligne la chercheuse, mais elles créent des situations très délicates au sein des équipes soignantes. "Je comprends le problème que vivent ces personnes, dit Danielle Blondeau. Je suis moi-même mal à l'aise avec l'idée de faire dormir quelqu'un jusqu'à sa mort pour soulager ses douleurs existentielles."
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