La Troisième Guerre mondiale n'aura pas
lieu
Roméo Dallaire, ex commandant en
chef de la Mission d'assistance des Nations unies au Rwanda,
rappelle que la rage gronde en Afrique, que le terrorisme menace
le monde et qu'il nous faut apprendre à vivre dans l'incertitude
J'ai serré la main du diable. Le titre du livre
écrit par Roméo Dallaire, lieutenant général
retraité des Forces armées canadiennes, sur l'expérience
qu'il a vécue lors du génocide rwandais de 1994,
parle de lui-même. Témoin des pires atrocités,
ayant vu le mal dans toute son horreur, Roméo Dallaire
demeure hanté à jamais par certaines images. Ayant
choisi de pactiser avec la vie plutôt qu'avec la mort,
c'est pourtant un homme respirant la sérénité
et dégageant une force peu commune que les étudiants
ont rencontré, le 3 mars, dans une salle remplie à
craquer du pavillon Ferdinand-Vandry. Invité par le Comité
des relations internationales et d'action communautaire (CRIAC)
des étudiants en médecine, ce militaire humaniste
a captivé son auditoire du début à la fin,
parlant de son expérience au Rwanda et partageant sa vision
du Canada comme puissance moyenne dans la résolution des
conflits actuels et futurs.
"Jusqu'à la fin de la Guerre froide, en 1989, il
y avait deux forces en présence dans le monde: l'Ouest
et l'Est, a expliqué Roméo Dallaire. Depuis cette
date, la donne a changé. Le concept de guerre classique
utilisant des forces classiques avec le maintien classique de
la paix n'existe plus. Les pays se sont débarrassé
de leurs colonisateurs et ont installé des dictateurs
à leurs places. La démocratie n'a pas pu s'y développer
et plusieurs pays ont connu la guerre civile, comme le Rwanda."
Commandant en chef de la Mission d'assistance des Nations unies
au Rwanda en 1993, Roméo Dallaire a vu des garçons
de neuf ans armés jusqu'aux dents tirer sur d'autres enfants
qu'on avait alignés pour servir de boucliers à
des soldats adultes. Il a vu aussi des gens battus à coups
de machette et qui, fous de douleur, suppliaient leurs bourreaux
de mettre fin à leurs souffrances en les achevant par
balle. Seuls les plus riches obtenaient ce privilège,
puisqu'il leur fallait débourser pour obtenir le projectile.
Sans compter les viols, innombrables, considérés
aujourd'hui comme crimes de guerre.
Un mur d'indifférence
Au cours du génocide rwandais qui a fait 800 000 victimes
en cent jours, jamais la communauté internationale n'a
levé le petit doigt pour empêcher le massacre. "C'est
simple: il n'y avait pas d'argent à faire là et
donc, personne n'a bougé, de souligner Roméo Dallaire.
En ne faisant rien pour les aider, nous avons signifié
à ces êtres humains qu'ils étaient notre
dernière priorité. Trois semaines avant le début
du conflit, le président Bill Clinton a affirmé
qu'il enverrait des soldats américains au Rwanda seulement
si les États-Unis y trouvaient un intérêt
personnel. On ne peut pas être plus clair."
Réclamant davantage de ressources et pressant la communauté
internationale d'agir, le commandant en chef se sera heurté
jusqu'à la fin du conflit à un mur d'indifférence.
Aujourd'hui, l'homme ne peut s'empêcher de se demander
si certains humains comptent davantage que d'autres. "Quand
80 % de la population du globe vit dans le sang, la boue et la
misère, je comprends mal que le 20 % qui reste continue
de vouloir se rendre sur la planète Mars, soutient-il.
Je crois fermement que le Canada a une responsabilité
envers cette partie de l'humanité qui souffre." Outré
que les candidats en lice aux dernières élections
fédérales aient parlé de tout sauf de l'avenir
du développement international, Roméo Dallaire
souligne que le rôle du Canada sur l'échiquier mondial
en est un de gardien de la paix. "En Afghanistan, par exemple,
nos soldats sont là pour aider à la résolution
de conflits. Leur travail consiste à établir une
atmosphère de paix afin que les habitants du pays vivent
et se sentent davantage en sécurité." Heureux
que le Canada ait refusé de faire partie de la coalition
dans la guerre en Irak, le conférencier a indiqué
qu'aucun pays n'avait le droit d'en envahir un autre sous prétexte
d'y assurer le développement de la démocratie:
"Un pays qui en envahit un autre le fait toujours dans son
propre intérêt", a t-il insisté.
Conseiller spécial pour l'Agence canadienne de développement
international (ACDI) sur les questions reliées aux enfants
victimes de la guerre, auteur de plusieurs articles sur les droits
de la personne et sur l'aide humanitaire, Roméo Dallaire
a été nommé sénateur en mars 2005.
Il milite actuellement contre la guerre au Darfour, un génocide
devant lequel le monde entier ferme les yeux. Visiblement, le
désastre qui a eu lieu au Rwanda n'a pas servi de leçon
à la communauté internationale. "Il n'y aura
pas de Troisième Guerre mondiale, a révélé
Roméo Dallaire. La rage gronde en Afrique, le terrorisme
menace le monde. Il nous faut apprendre à vivre dans l'ambiguïté."
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