
Les moulages sortent de l'ombre
La petite salle d'exposition du pavillon Jean-Charles-Bonenfant
a des allures de galerie du temps passé avec ses dessins
et ses huiles côtoyant des têtes ou des bustes en
plâtre. Lyne Lafontaine, Lilyane Coulombe et Yvan Breton
affichent en effet des oeuvres réalisées d'après
des moulages de la collection de l'Université Laval qu'ils
fréquentent depuis une dizaine d'années. Les nus,
les reproductions de bas-reliefs, du "Gladiateur Borghese"
sculpté vers 100 avant Jésus-Christ, ou du Julien
de Médicis de Michel-Ange inspirent toujours ces artistes
contemporains. "Contrairement aux modèles vivants,
les plâtres ne bougent pas durant les trois heures d'une
séance de dessin, souligne Yvan Breton qui utilise aussi
ces reproductions dans ses cours à l'École d'architecture.
Ils permettent donc d'améliorer son dessin du corps humain
grâce aux contrastes d'ombre et de lumière."
Tout comme Lyne Lafontaine, cet amoureux du figuratif a notamment
été charmé par la finesse des courbes allongées
de la reproduction de la "Vénus sortant du bain",
sculptée en 1767 par Christophe-Gabriel Allegrain. "J'aime
beaucoup ces modèles sages, leur pose, leur élégance,
leur expression, renchérit Lyne Lafontaine. Je les dessine
au crayon de plomb ou parfois je les peins à l'huile comme
cette série de têtes que j'ai baptisée "Introspection."
Ces reproductions ne sont que quelques-uns des 550 moulages qu'abritent
les collections de l'Université Laval. Des moulages que
l'on pourrait facilement qualifier de survivants. Cet héritage
de l'École des Beaux-arts de Québec a bien failli
disparaître en effet dans les années 1970 alors
que l'École des arts visuels était créée.
À cette époque, les méthodes d'apprentissage
du dessin changent drastiquement. Les professeurs ne veulent
plus utiliser des répliques des oeuvres passées
pour former le coup de crayon de leurs élèves.
La collection de moulages provenant en grande partie des ateliers
du Musée du Louvre tombe donc dans l'oubli et une grande
partie des quelques 2 000 pièces disparaît.
En 1978, la spécialiste en ressources documentaires
Gisèle Wagner apprend leur existence alors qu'elle commence
à travailler aux Collections de l'Université Laval.
Où se trouvent le moulages? Sous les gradins de la patinoire
au PEPS! "Ils étaient entassés dans une petite
pièce qui ne fermait pas à clef, raconte-t-elle,
et certaines statues avaient des membres cassés ou avaient
perdu leur tête. J'ai dû aller chercher les dernières
pièces à plat ventre car les gradins limitaient
la hauteur du plafond de cette salle." Dès lors,
ces répliques témoins de l'art antique, ces bustes
de personnages célèbres comme Molière, ces
têtes de la Renaissance se retrouvent dans la réserve
des collections de l'Université. Oubliées? Pas
tout à fait. À la fin des années 1980, l'architecte
responsable de la conception du pavillon La Laurentienne emprunte
quelques statues pour donner une allure grecque antique au hall
du bâtiment.
"Bien des gens alors se sont insurgés car ils trouvaient
inacceptables de voir des nus dans une université, se
souvient Gisèle Wagner. Il a fallu leur expliquer qu'il
s'agissait de personnages de la mythologie romaine et préciser
leur importance." Depuis, les moulages ont retrouvé
leur droit de cité. De temps en temps, un professeur les
emprunte pour enseigner aux élèves les subtilités
de l'anatomie humaine. Yvan Breton a emmené récemment
ses élèves en dessin d'expression de l'École
d'architecture dans les collections, et plusieurs artistes y
posent leur chevalet régulièrement. Pour Gisèle
Wagner, qui veille à leur conservation, ces moulages apportent
une valeur scientifique artistique à la collection. Ils
témoignent en effet des méthodes d'enseignement
en vigueur autrefois et ne peuvent donc disparaître brusquement
de notre mémoire collective.
Les oeuvres de Lyne Lafontaine, Lilyane Coulombe et Yvan Breton
sont présentées jusqu'au 10 mars dans la salle
d'exposition de la Bibliothèque.

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