
Un modèle pour le Québec?
En Suède, l'optimisation de la production
de matière ligneuse fragilise la forêt et menace
la biodiversité
Aux yeux des spécialistes de l'exploitation de la forêt,
la Suède apparaît comme la quintessence de la foresterie
productive. Et pour cause. Depuis les années 1920, la
forêt commerciale suédoise a presque doublé
de volume sur pied. De nos jours, elle permet aux industriels
de récolter en moyenne 65 millions de mètres cubes
solides de bois par an. Mais l'optimisation de la production
de matière ligneuse a un coût environnemental. C'est
ce qu'ont constaté les Suédois, il y a une dizaine
d'années. D'une part, les forêts commerciales, dont
l'âge ne dépasse pas 100 ans, sont plus denses,
plus sèches, plus fragmentées et plus pauvres en
essences feuillues et en bois mort que les forêts "naturelles"
qui, elles, ont entre 250 et 300 ans. D'autre part, et faute
d'habitats adéquats, près de 10 % des quelque 24
000 espèces de plantes et d'animaux vivant dans les forêts
commerciales de la Suède sont menacées. Et plus
de 300 d'entre elles pourraient disparaître dans les prochaines
décennies.
"La prise de conscience du phénomène a suscité
un mouvement politique visant à restaurer les habitats
et surtout à prévoir une foresterie de rétention",
explique Luc Bouthillier, professeur au Département des
sciences du bois et de la forêt. Rentré d'un congé
sabbatique en Suède, ce dernier a souligné, dans
un exposé au Centre de foresterie des Laurentides, le
jeudi 2 mars, le rôle majeur joué par l'État
suédois en la matière. "D'une part, le gouvernement
a acquis des massifs appartenant à des propriétaires
privés dans le but de garantir la conservation d'habitats
essentiels. D'autre part, il a créé des réserves
naturelles supplémentaires sur plus de 300 000 hectares.
Mais la véritable innovation politique consiste en la
sauvegarde, à la suite d'une mise volontaire de côté
par les propriétaires forestiers, qu'ils soient privés
ou industriels, de plus de 900 000 hectares en dix ans."
Cela dit, la foresterie à saveur environnementaliste que
les Suédois tentent de mettre en oeuvre se heurte à
de grandes difficultés, en particulier en ce qui concerne
les changements dans les pratiques. Recréer ou restaurer
des conditions qui favorisent la richesse biologique consiste,
entre autres, à laisser sur place des bouquets d'arbres,
à introduire des arbres feuillus et à augmenter
les débris au sol. "Les plantations suédoises
sont tellement aménagées qu'il ne se perd pas de
bois, indique Luc Bouthillier. Il y a très peu de bois
mort au sol et très peu de chicots qui sont pourtant fondamentaux
pour la biodiversité. Essayer d'induire de nouvelles pratiques
forestières en ce sens s'avère contre-culturel."
La foresterie québécoise devrait-elle s'inspirer
du modèle suédois? Après tout, les deux
forêts sont très semblables et le rendement à
l'hectare de la forêt suédoise est quatre fois plus
élevé. "Nous sommes toujours dans une foresterie
d'abattage et de cueillette, car nous n'avons commencé
à reboiser de façon importante que vers 1985, répond
Luc Bouthillier. Il faut réaliser qu'il y a un coût
environnemental à s'ouvrir à une foresterie protégée.
Il faut penser au volume de bois à laisser sur place après
une coupe, pour protéger la ressource eau et les habitats
des animaux. Parce qu'une forêt, ce n'est pas juste du
bois." Une autre différence de taille découle
du fait que les petits propriétaires fonciers détiennent
51 % des superficies forestières. Or, ces propriétaires
croient qu'il est important de léguer à leurs descendants
une forêt sur pied améliorée. Autre différence:
les Suédois considèrent un programme d'investissement
à long terme dès qu'une coupe forestière
est envisagée. À la suite de la coupe, un cycle
sylvicole se met en marche, lequel prévoit des activités
de régénération, de nettoyage et d'éclaircie.

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