
Au-delà de cette limite votre ticket
n'est plus valable
Accueillir l'étranger n'est pas
tout. Il faut aussi lui faciliter la vie sur le plan de ses compétences
reliées à l'emploi
Imaginez que vous venez de quitter pour toujours votre pays
d'origine et que vous arrivez en terre étrangère.
À votre descente d'avion, vous êtes accueilli par
de purs inconnus. Après les formalités d'usage,
vous partez pour une région dont vous ignorez tout. Les
jours, les semaines, les mois et les années passent. Vous
essayez de rebâtir votre vie, dans ce pays que vous n'avez
pas choisi mais dont on vous a dit qu'il était maintenant
le vôtre, pour vous apercevoir que le projet s'avère
beaucoup plus ardu que vous ne le pensiez.
C'est, en résumé, la situation vécue par
des centaines de réfugiés publics admis au Québec
dans le cadre du Programme de régionalisation de l'immigration
du Québec. Ayant quitté leur pays pour fuir des
conditions de vie difficiles, ces réfugiés, dont
la majorité sont des diplômés universitaires,
bénéficient pourtant de tout l'appui nécessaire
pour s'intégrer au Québec lors de leur arrivée.
Les choses semblent se gâter plus tard, si on en croit
Francine Saillant, professeure au Département d'anthropologie
et responsable d'une étude ayant pour thème "L'Autre
chez soi".
"On compte un grand nombre d'études portant sur les
réfugiés vivant dans les grands centres comme Montréal
et Québec, mais très peu sur ceux qui vivent en
région éloignée", explique la chercheure.
Pour les fins de cette recherche qui s'est déroulée
de 2002 à 2004, 40 réfugiés provenant de
pays aussi divers que le Rwanda, le Congo, le Burundi, l'Afghanistan,
l'Irak, l'Iran, le Guatemala, la Colombie et l'ex-Yougoslavie
ont été interviewés. Établis en moyenne
depuis trois ans au Québec, près de la moitié
d'entre eux vivaient à Sherbrooke, Trois-Rivières
et Chicoutimi, tandis que les autres habitaient à Montréal
et à Québec. "Même si l'aide accordée
aux réfugiés est plus individualisée dans
les régions, il n'est pas plus facile de se tailler une
place à Chicoutimi qu'à Montréal, dit Francine
Saillant. Les intervenants des groupes communautaires ont beau
mettre le paquet pour les aider, les personnes vivent beaucoup
d'isolement psychique, où qu'elles se trouvent. Il leur
est parfois difficile de parler de leurs problèmes, d'autant
plus qu'elles considèrent l'acte de parler comme porteur
de danger, à cause de la répression qu'elles ont
connue dans leur pays."
Mieux vivre ici
Au premier rang de leurs difficultés figure l'accès
très limité à un emploi relié à
leurs compétences. Ainsi, les réfugiés font
souvent référence au fossé qui existe entre
la chaleur de l'accueil reçu à travers différents
programmes et pratiques visant à faciliter leur installation
au Québec et les difficultés qu'ils éprouvent
à s'intégrer au monde du travail. Leurs diplômes
n'étant pas reconnus, plusieurs abandonnent l'idée
de retourner aux études, afin de pouvoir joindre les deux
bouts et faire vivre leur famille. Malgré ces vies professionnelles
et familiales rompues, tous les participants à l'enquête
ont réaffirmé leur volonté de continuer
leur vie au Québec, même s'ils se sentent considérés
comme d'éternels étrangers par les Québécois
de souche.
"À travers les propos émis, on voit que les
femmes y gagnent par rapport à la vie qu'elles menaient
dans leur pays d'origine, alors que les hommes perdent beaucoup
en tant que figure d'autorité, précise Francine
Saillant. Toutefois, hommes et femmes souhaitent ardemment que
la structure de l'emploi au Québec les favorise davantage.
Je pense que si on prétend accueillir les gens, il faut
prendre tous les moyens pour qu'ils puissent mieux vivre ici."

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