
Un fruit sauvage
Les caprices de la chicouté compliquent
le travail des chercheures qui tentent de domestiquer cette plante
de tourbières
Elle habite les tourbières des régions boréales,
elle produit un fruit ambré dont on tire confitures, tartes
et boissons alcoolisées, elle pourrait repeupler les tourbières
abandonnées après l'exploitation de la sphaigne
et, du coup, stimuler l'économie des régions en
devenant le prochain petit fruit cultivé du Québec.
La chicouté a une grosse commande sur les ramets, surtout
sur la Côte-Nord où on voit grand pour cette petite
plante capricieuse et cachottière qui tarde à livrer
les secrets qui garantiraient le succès de sa domestication.
"Ça fait plus de dix ans que nous étudions
la chicouté et nous n'avons pas encore trouvé la
clé pour bien comprendre cette espèce, confesse
Line Lapointe, du Département de biologie. Nos travaux
progressent, mais plus lentement que nous le souhaiterions."
Il y a déjà belle lurette que les résidants
de la Côte-Nord transforment la chicouté - aussi
appelée plaquebière, blackbière, mûre
blanche ou ronce petit-mûrier - pour satisfaire leurs propres
plaisirs gourmands et pour en faire des produits du terroir destinés
aux touristes. Depuis quelques années, la chicouté
a accru sa renommée grâce à une liqueur fabriquée
par la Maison des futailles et distribuée sous le nom
de Chicoutai par la Société des alcools
du Québec. "Il y a un intérêt de la
part des gens du milieu pour tirer davantage de cette ressource
naturelle, signale Line Lapointe. Pour y arriver, il faut toutefois
trouver comment assurer une production plus forte et plus stable
en fruits."
La professeure Lapointe, sa collègue du Département
de phytologie, Line Rochefort, et les étudiants-chercheurs
Guillaume Théroux Rancourt et Mireille Bellemare ont profité
du 13e Colloque annuel du Groupe de recherche en écologie
des tourbières (GRET), qui avait lieu sur le campus le
20 février, pour faire le point sur les expériences
qu'ils mènent sur cette plante dans des serres, ainsi
que dans des tourbières naturelles et résiduelles
(après exploitation de la sphaigne) de Pointe Lebel. "Nos
travaux indiquent que même si les Norvégiens ont
une expérience de plusieurs décennies en culture
de la chicouté, les règles qu'ils proposent ne
donnent pas de bons résultats au Québec",
affirme Line Lapointe.
L'équipe de recherche a donc entrepris de préciser
les paramètres de culture (longueurs de rhizome transplanté,
humidité et composition du sol, fertilisation, etc.) qui
assurent la survie et la croissance optimales des plants de chicouté.
"Pour l'instant, à peine 30 % des rhizomes transplantés
produisent des plants qui survivent l'année suivante,
précise Line Rochefort. Idéalement, on vise un
taux de survie de 90 %."
Les deux chercheures s'entendent sur les étapes qu'il
reste à franchir avant que la culture de la chicouté
ne devienne réalité au Québec. D'abord,
il faudra mieux préciser les conditions de sol dans lesquelles
cette plante s'épanouit. L'extraction de la sphaigne perturbe
les conditions naturelles dans lesquelles se retrouvent normalement
la chicouté et il y a beaucoup de travail à faire
après coup pour recréer un habitat adéquat
pour cette espèce. Ensuite, il faudra sélectionner
des cultivars qui produisent des fruits plus nombreux et plus
gros. "Les Norvégiens y sont arrivés à
l'aide de fruits de taille exceptionnelle que leur rapportaient
des cueilleurs en échange de primes. Plus le fruit était
gros, plus la prime était élevée",
signale Line Rochefort.
Toutefois, ce n'est pas demain la veille que les produits à
base de chicouté envahiront les tablettes des épiceries
du Québec, conviennent les deux chercheures. L'optimisme
de Line Rochefort la porte à croire que d'ici dix à
douze ans, des cultures de chicouté sur tourbières
résiduelles feront partie du décor sur la Côte-Nord.
La position de Line Lapointe oscille entre l'optimisme modéré
et le réalisme. "Disons que mon opinion change en
fonction des jours, constate la chercheure. La chicouté
est une espèce aux réactions tellement inattendues
qu'il est bien difficile de prédire ce que l'avenir lui
réserve."

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