Des électeurs prudents
Stephen Harper pourrait former un prochain
gouvernement majoritaire s'il réussit à gouverner
au centre
"Si le Parti conservateur a remporté les dernières
élections, c'est parce que Stephen Harper a réussi
à ramener sa plate-forme électorale vers le centre
en faisant taire ses ténors alliancistes de droite",
soutient Jocelyn Létourneau, professeur au Département
d'histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en
histoire et économie politique du Québec contemporain.
Selon lui, si Stephen Harper réussit à gouverner
au centre, il pourrait peut-être former un gouvernement
majoritaire aux prochaines élections. "Mais, ajoute-t-il,
il faut voir qui sera le prochain chef du Parti libéral.
Si celui-ci a une vision particulière du Canada et si
les députés de droite imposent leurs vues au gouvernement
conservateur, il se pourrait bien que les libéraux reprennent
le pouvoir et soient majoritaires. D'autant plus que dans l'Est
du pays, les électeurs sont fondamentalement de tendance
libérale."
Jocelyn Létourneau rappelle que les Canadiens, tout comme
les Québécois, s'inscrivent depuis très
longtemps dans une mouvance très centriste en politique.
"Les uns et les autres, dit-il, redoutent les extrêmes,
les options radicales. En ce sens, ils sont de tradition britannique.
Dans leur histoire, ils ont lié des termes pouvant représenter
des pôles contradictoires, mais qui offraient une voie
de passage centriste. Par exemple, le Parti "progressiste-conservateur",
la "Révolution tranquille" ou la "souveraineté-association"."
Ambivalence et pragmatisme
Jocelyn Létourneau a participé à un
débat sur l'écriture de l'histoire du Canada et
du Québec, le vendredi 27 janvier au pavillon Charles-De
Koninck, en compagnie de H.V. Nelles, son confrère de
l'Université McMaster. En 2004, tous deux ont publié
chez Fides des ouvrages de synthèse sur l'histoire du
Québec et du Canada, soit Le Québec, les Québécois:
un parcours historique et Une brève histoire du
Canada. "L'ambivalence et le changement sont communs
aux deux ouvrages, a indiqué Harold Bérubé,
doctorant en histoire à l'INRS-Culture et société
(Montréal). Ils évoquent des sociétés
dont le sens et l'identité sont en mouvement, difficiles
à définir. L'historien semble n'avoir d'autre choix
que de voir dans cet état de choses le triomphe du compromis,
du pragmatisme ou d'une sorte de sagesse collective."
Sur le passage du régime français au régime
anglais au 18e siècle, l'un et l'autre soulignent la contribution
positive des Britanniques au développement de l'ancienne
colonie française d'Amérique, tant au plan culturel
qu'institutionnel et économique. Sur les rébellions
de 1837-1838, H.V. Nelles situe les événements
dans un contexte plus large, celui d'affrontements politiques
parallèles dans les Maritimes. Son confrère de
Laval parle, pour sa part, "d'une insurrection maladroite,
confuse et peu populaire dans sa version radicale". Le 19e
siècle est vu par les deux auteurs comme une période
de progrès économique qui profite tant aux élites
francophones qu'anglophones, ainsi qu'à l'Église
catholique. Contrairement à Jocelyn Létourneau,
H.V. Nelles insiste sur la Première Guerre mondiale, un
événement qui forgera l'identité canadienne.
Dans les années 1960 au Québec, la Révolution
tranquille s'attaque, selon ce dernier, à l'Église
catholique, à l'élite économique anglo-québécoise
et à l'État fédéral. Pour le professeur
de Laval, cette révolution s'appuie sur le rôle
majeur de l'État et sur l'ouverture du Québec à
l'altérité. Selon Harold Bérubé,
les deux historiens en viennent à la création "de
quelque chose comme deux nations: le Canada trudeauiste chez
Nelles, le Québec de la Révolution tranquille chez
Létourneau".
Un parcours ni normal, ni anormal
Dans son livre, Jocelyn Létourneau présente
l'aventure historique québécoise comme celle d'un
peuple dont le parcours fut ni normal, ni anormal par rapport
à celui d'autres sociétés. "Il m'importe
peu de savoir si nous avons collectivement manqué le bateau
de l'histoire, a-t-il expliqué. Le mot d'ordre de mon
livre n'est pas: "J'accuse", il est plutôt: "J'assume"
l'aventure québécoise telle qu'elle fut."
S'il relativise le caractère destructeur de la Conquête
de 1760, l'auteur souligne que la société qui se
reconstitue "s'élève dans une mixité
pleine d'asymétries économiques, de tensions politiques
et d'interférences culturelles". Voulant remettre
les troubles de 1837-1838 dans leur juste perspective, l'historien
rappelle qu'il existait un assez large consensus au Bas-Canada,
chez les francophones mais aussi chez une partie des anglophones,
pour sortir de l'Empire britannique par la voie constitutionnelle.
Selon Jocelyn Létourneau, l'aventure québécoise,
à partir du milieu du 19e siècle, est aussi celle
des anglophones qui habitent le territoire. "Dès
lors, a-t-il dit, la société québécoise
ne peut être décrite à travers les canons
interprétatifs traditionnels et la litanie des concepts
misérabilistes qui vont avec: survivance, conservatisme,
déphasage, soumission, oppression, etc." Pour lui,
la modernité nord-américaine marque profondément
la société québécoise, en particulier
dans la plaine de Montréal, à partir du milieu
du 19e siècle. "Le Sujet québécois
dont je fais l'histoire, a-t-il conclu, n'a pas la figure du
Christ sur la croix ni d'ailleurs celles du porteur d'eau ou
du scieur de bois. Il n'est ni malheureux ni évincé.
Il n'est ni meilleur ni pire que l'Autre. Ce Sujet est comme
il est."
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