
Le courrier
Compromis politique, "bungee" éducatif
L'avènement d'un nouveau programme dans les écoles
primaires et secondaires, Éthique et culture religieuse,
en remplacement des options "enseignement moral et religieux
catholique" ou "protestant" et "enseignement
moral", tel qu'établi par la Loi 95 adoptée
en juin dernier, représente un tournant majeur dans la
paysage scolaire du Québec. C'est pourquoi la Faculté
de théologie et de sciences religieuses et le Regroupement
des étudiants de sciences des religions (RESR) ont tenu,
le 24 janvier dernier, une rencontre ayant pour thème:
"L'enseignement religieux dans les écoles : s'adapter
aux nouvelles réalités".
Les deux conférenciers, Jacques Racine, professeur titulaire
à la faculté, et Sylvain Nadeau, doctorant en sciences
politiques, ont aidé à mieux percevoir les problèmes
quant au nouveau programme et quant au contexte social et éducatif
québécois. Plusieurs aspects cruciaux méritent
cependant d'être encore approfondis.
La lecture sociale de l'adoption de la Loi 95 ne peut s'interpréter
selon une vision historiciste du phénomène de sécularisation,
qui serait alors considéré comme une loi de l'évolution
des sociétés. Par conséquent, s'il l'on
parle des dispositions législatives antérieures
comme étant des compromis, il est justifié de voir
ainsi la décision gouvernementale d'établir ce
cours unique et obligatoire en septembre 2008. Ce qui s'est passé
à la commission parlementaire sur cette loi, quelques
jours avant son adoption, manifeste de façon assez évidente
que les membres du parlement recherchaient l'appui, bien plus
que l'éclairage, des divers acteurs consultés.
Entre autres, le ministre s'est montré particulièrement
heureux de la position de la Fédération des comités
de parents, évoquant à plusieurs reprises que leur
opinion positive pesait lourd dans sa décision; il s'est
empressé de les rassurer sur la qualité éducative
du futur programme et il a accueilli leur désir d'être
partie prenante du processus de préparation et de mise
en uvre du programme. Certains organismes ont exprimé
leur accord avec le projet tout en faisant valoir des perceptions
différentes sur le programme. Talonné par l'opposition,
le gouvernement devait trouver une solution au recours obligé
à la clause dérogatoire. La décision fut
donc prise: il faut dorénavant agir dans ce cadre.
Nul doute qu'une analyse de cette décision en tant que
"compromis politique" aiderait à saisir, au-delà
du soulagement des uns et des inquiétudes des autres,
ce qui se joue dans la société avec le "religieux"
(ou le "spirituel")... La reconnaissance empirique
de ce "jeu de société" permettrait de
mieux tenir compte de tous les facteurs dans la recherche de
solutions satisfaisantes. La question du religieux se pose à
l'école parce qu'elle se pose dans la société,
d'où l'importance de préciser les intentions éducatives
de l'école par rapport à ce qui se vit dans la
société plutôt que s'en tenir uniquement
aux simples sondages d'opinions et aux grands principes juridiques
ou politiques.
D'autre part, on le constate, la Loi 95 dresse un agenda dont
la réussite tient pratiquement au sport extrême.
De l'avis d'un conférencier, on ne sait pas encore clairement
ce qu'il faut entendre par "culture religieuse" dans
le cadre du futur programme; on prévoit recourir à
l'histoire et à la phénoménologie pour la
formation des maîtres en la matière, mais curieusement
sans attendre de contribution spéciale de la philosophie
dans cette formation malgré le besoin de "culture
générale" souligné comme un défi
majeur. La jonction entre les volets "éthique"
et "culture religieuse" demeure très précaire,
ce qui empêche de donner tout le dynamisme et la cohérence
attendus d'une discipline d'enseignement: il en va pourtant
de sa perception, de son accueil et de son application dans le
milieu scolaire. L'échéancier serait très
serré si on compare à d'autres disciplines déjà
établies. Selon le conférencier, l'instauration
du nouveau programme signifie que nous voulons considérer
le "religieux" pour lui-même dans une discipline
scolaire, contrairement à la France où la culture
religieuse est développée à travers les
autres programmes en vigueur. Faute de spécifier davantage
les compétences par rapport au savoir religieux, ce volet
demeurera sous-estimé et sera délaissé
au profit d'autres programmes plus à même d'aborder
l'histoire et la place actuelle des religions.
Le traitement non-confessionnel de l'enseignement religieux est
un chantier encore bien limité: les recherches pédagogiques
récentes ont peu étudié ce qu'il en était
de l'éducation religieuse, rendue suspecte par son encadrement
confessionnel. L'expérience britannique du programme Religious
education serait ici pourtant très instructive,
car il s'agit du passage à un enseignement religieux déconfessionalisé
mais toujours soucieux de développement personnel pour
ne pas dire d'éducation spirituelle (cf. les concepts-clés
Edification chez Robert Jackson et Learning from religion
chez Michael Grimmitt).
Vraiment, l'entreprise est risquée, et l'on ne doit pas
oublier que les victimes ne seraient pas ceux qui en ont décidé
ainsi mais les enseignants aux prises avec un programme mal ajusté
et surtout les jeunes dont la formation requiert une telle composante.
Alors, prenons le soin de bien attacher tous les fils de l'élastique
afin d'arriver à un saut pleinement réussi, que
ce soit le vol de l'ange ou la double vrille cabotine!
ROGER GIRARD
Ex-enseignant et doctorant à la Faculté de
théologie et de sciences religieuses
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