Des parcs à la carte au Nord
Les vastes aires protégées
en milieu nordique ne servent-elles qu'à donner bonne
conscience au gouvernement du Québec?
En 1992, le Canada signait la Convention sur la diversité
biologique qui invitait chaque État à conférer
le statut d'aires protégées à 12 % ou plus
de son territoire. À cette époque, moins de 2 %
du sol québécois bénéficiait de cette
protection, une performance qui plaçait le Québec
bon dernier parmi les provinces canadiennes. Depuis, le dossier
a progressé à pas de tortue; les aires protégées
dépassent à peine la barre des 3 %, selon les groupes
environnementaux, ou 5 % selon le gouvernement. Pourtant, malgré
cette apparente inertie, les Libéraux de Jean Charest
pourraient bien parvenir à atteindre le seuil de 8 % qu'ils
ont promis pour 2008, grâce à la création
de parcs nordiques. Créatures pratiques et inoffensives
servant à gonfler les statistiques ou véritables
outils de conservation des écosystèmes, la nature
exacte de ces parcs était au coeur d'un débat présenté
le 27 janvier, en clôture du 26e Colloque annuel du Centre
d'études nordiques (CEN).
Alain Hébert, du ministère du Développement
durable, de l'Environnement et des Parcs, a reconnu d'emblée
que le dossier des parcs naturels avait connu "un dégel
tardif" au Québec. Il a d'ailleurs salué le
travail de visionnaires comme le professeur Jacques Rousseau,
du CEN, qui dès les années 1950 exerçait
des pressions pour que des secteurs exceptionnels du Nord québécois
soient protégés. Cinquante ans plus tard, l'idée
a fait son chemin et Québec envisage maintenant la création
d'un réseau de neuf parcs au nord du 50e parallèle,
incluant cinq parcs au-delà du 56e parallèle.
Il y a un an, le premier de ces parcs, Pingualuit, qui protège
le secteur entourant le cratère du Nouveau-Québec,
voyait le jour. Du coup, Québec augmentait de 20 % la
superficie de son réseau de parcs naturels. Si le projet
de méga parc Albanel-Témiscamie-Otish - qui couvre
près de 6 000 km2 - se concrétise, la superficie
du réseau de parcs naturels sera pratiquement doublée
d'un seul coup. "Ces parcs sont développés
en étroite collaboration avec les communautés autochtones.
Il y a une volonté qui vient des Inuits et des Cris",
insiste Alain Hébert. Le fait qu'il s'agisse là
d'un moyen pratique pour atteindre l'objectif de 8 % n'enlève
rien à la pertinence de ces parcs, a-t-il laissé
entendre.
Écotourisme de luxe
Comme la tarte aux pommes, les parcs naturels comptent peu
d'opposants, à plus fortes raisons parmi les membres du
Centre d'études nordiques de l'Université Laval.
Certains participants se sont toutefois questionnés sur
l'urgence d'établir des parcs de conservation dans les
régions nordiques éloignées alors que la
biodiversité est plus forte et plus en péril au
sud. "Il y a des besoins dans le Sud, c'est certain, mais
il faut aussi penser à conserver des écosystèmes
représentatifs des écosystèmes nordiques,
a souligné le professeur Steeve Côté, du
Département de biologie. Pour l'instant, il n'existe encore
qu'un seul parc dans le Nord du Québec." Son collègue
Serge Payette a soulevé le fait que la création
de parcs dans le Sud de la province posait des difficultés
appréciables en raison du manque d'espace et de la rareté
grandissante des écosystèmes non perturbés.
"Ces contraintes n'existent pas au Nord. Par ailleurs, la
création de parcs nordiques constitue une opportunité
intéressante pour le développement de l'écotourisme",
a-t-il fait valoir.
Pour Julie Turgeon, professeure au Département de biologie,
l'inaccessibilité des parcs nordiques soulève de
sérieuses questions. En effet, la plupart de ces territoires
très isolés ne sont accessibles que par avion,
ce qui implique des dépenses de plusieurs milliers de
dollars en transport pour chaque visiteur. "Qui aura les
moyens de fréquenter ces territoires et qu'arrive-t-il
de la mission d'éducation de la population à l'environnement
dans les parcs?", a-t-elle demandé.
De son côté, Louise Filion, professeure au Département
de géographie, s'est interrogée sur la démesure
de certains des parcs projetés. "Il y a quelques
années, Québec a dû réformer la Loi
des parcs et scinder les anciens territoires du Parc de la Gaspésie
et du Parc des Laurentides pour permettre la poursuite des activités
forestières et minières sur une partie de ces territoires.
Je me demande si nous avons appris de nos erreurs. Il vaudrait
peut-être mieux protéger de moins grands territoires,
mais leur accorder une véritable protection."
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