
Deep Impact: la science qui boume
Le diplômé en génie
physique Tomas Ryan a vécu de l'intérieur cette
mission de la NASA
"Il y a tellement de choses qui peuvent mal aller lors
d'une mission spatiale que je ne suis pas surpris que des échecs
surviennent. En fait, quand on considère toutes les éventualités
auxquelles il faut penser, tous les problèmes qu'il faut
prévoir, c'est presque un miracle qu'une mission réussisse."
Le discours empreint d'humilité scientifique que tient
Tomas Ryan étonne. Règle générale,
pareils témoignages résultent de réflexions
inspirées par l'échec. Or, la mission Deep Impact,
à laquelle ce diplômé en génie physique
(1991) de l'Université Laval a étroitement collaboré,
a été saluée comme la plus grande réussite
de la NASA depuis de nombreuses années.
Plusieurs auraient profité de la tribune des "Conférences
grand public" que la Faculté des sciences et de génie
lui a offerte le 5 octobre pour deviser sur la puissance de la
technologie et, pourquoi pas, pour pavoiser un peu. La centaine
de personnes venues entendre Tomas Ryan ont plutôt eu la
chance de voir un ingénieur conscient des limites du génie
humain et un scientifique encore emballé d'avoir eu la
chance de prendre part à une aventure aussi excitante.
Prévoir le pire
Tomas Ryan a consacré cinq ans de travail au logiciel
de contrôle de la sonde Deep Impact, ce satellite qui est
allé percuter la comète Tempel 1 le 4 juillet dernier.
Le but de la mission, n'en déplaise à Hollywood,
n'était pas de déterminer s'il était possible
de dévier une comète de sa course pour éviter
une collision avec la Terre, mais tout bonnement de vérifier
de quoi est fait le coeur de ces objets célestes. "Les
comètes ont été formées au même
moment que notre système solaire il y a 4,5 milliards
d'années, a rappelé le conférencier. Leur
composition pourrait nous apprendre des choses sur les conditions
qui prévalaient à cette époque."
Pourquoi prendre Tempel 1, une comète relativement inconnue,
comme cible? "Son orbite autour du Soleil dure 5,5 années,
ce qui était plus pratique que d'attendre le retour d'une
comète comme celle de Halley qui revient à tous
les 76 ans", a précisé le pragmatique ingénieur.
Et pourquoi le 4 juillet? "C'est à cette date que
la comète passait le plus près de la Terre. De
plus, le fait que ça coïncidait avec l'Independance
Day américain a pu faire plaisir à certains",
ajoute-t-il avec un sourire entendu. Mais encore fallait-il donner
aux Américains de quoi se réjouir.
Le défi technologique à relever était de
taille. La mission consistait à lancer un satellite en
janvier 2005, lui faire parcourir 435 000 km dans l'espace à
la rencontre d'un satellite voyageant à 37 000 km/h, balancer
un projectile de 370 kilos (impacteur) sur sa trajectoire et
provoquer une collision en un point précis de l'objet
céleste le 4 juillet, prendre des photos et récolter
des données avant, pendant et après le choc, et
transmettre le tout au sol à partir de la sonde (flyby)
positionnée à 500 km du point d'impact. "Même
pour nous, c'était difficile à imaginer au départ",
confesse Tomas Ryan. Et pourtant, lui et ses collègues
n'ont eu d'autre choix que d'activer leur imagination puisque
c'est la firme Ball Aerospace du Colorado, où le diplômé
de l'Université Laval occupe le poste de Senior Flight
Software Engineer, qui a décroché le mandat
de concevoir et de construire la sonde Deep Impact, selon les
spécifications des astronomes de l'Université du
Maryland. "Ces derniers s'occupaient de la science, nous
nous occupions de l'aspect technologique, le Jet Propulsion Laboratory
se chargeait du lancement et de la mise en orbite et la NASA
supervisait le travail et payait les factures", résume-t-il.
La Coccinelle spatiale
De 2000 à 2005, jusqu'à une centaine d'employés
de Ball ont planché, à un moment ou à un
autre, sur la sonde. L'équipe dirigée par Tomas
Ryan devait concevoir le logiciel de bord qui contrôlait
tous les systèmes. Le produit final comprend 220 000 lignes
de code C++ et roule sur un ordinateur commercial adapté
pour les conditions qui prévalent dans l'espace, notamment
un niveau élevé de radiations. "Il fallait
aussi que le système ait une capacité de mise à
jour, précise-t-il. D'ailleurs, nous avons téléchargé
des mises à jour du logiciel à quatre reprises
après le lancement de la sonde." De quoi donner des
cheveux gris aux dirigeants de Ball!
L'ingénieur s'est dit étonné de la quantité
de tests auxquels la sonde a été soumise avant
le décollage. Entre autres, la sonde Deep Impact - dont
la taille est comparable à celle de la Coccinelle de Volkswagen
- a été placée sur une plate-forme et secouée
vigoureusement pour s'assurer qu'elle résisterait au décollage.
Le conférencier a même raconté - est-ce une légende de labo? - que des "oeuvres" du groupe
AC/DC, crachées à fond la caisse par des colonnes
de son, ont servi à tester la résistance de la
sonde aux vibrations sonores! "Tout est testé et
retesté jusqu'à la dernière minute, dit-il.
Rien n'est laissé au hasard. La devise de la NASA, Test
like you fly and fly like you test, a été appliquée
à la lettre." Malgré toutes ces précautions,
la NASA a perdu le contact avec la sonde aussitôt que celle-ci
a été déployée dans l'espace. "C'était
la panique. Il a fallu une heure pour comprendre que le système
s'était placé automatiquement en mode sécurité",
explique-t-il.
La suite des événements fait partie de l'histoire.
"Tout s'est déroulé comme dans les simulations
sur ordinateur", raconte un Tomas Ryan encore étonné.
Et le plus beau est que Deep Impact n'a pas fini sa course. "Le
plan B au cas où l'impacteur ne se détachait pas
du flyby était d'envoyer toute la sonde s'écraser
sur la comète", raconte-t-il. Il aurait alors fallu
s'en remettre aux télescopes terrestres pour capter des
images de la comète pendant et après l'impact évitant
ainsi à la NASA la honte totale. Au lieu de cela, Deep
Impact a livré la marchandise au grand bonheur de
Ball qui en était à son premier contrat du genre
avec la NASA et le plan C a été activé.
"Le flyby est sorti sain et sauf de son passage à
proximité de la comète et on lui a assigné
une nouvelle mission, confirme Tomas Ryan. La sonde navigue en
direction d'une autre comète qu'elle devrait croiser dans
trois ans." Il n'en fallait pas plus pour que la NASA, dans
un élan de bonheur, de soulagement et d'esprit, conclue
que la mission Deep Impact avait été un succès
fracassant (a smashing success) sur toute la ligne.

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