
Les noms pour le dire L'anthropologue Bernard Saladin d'Anglure revient en force pour aider les Inuits à se nommer En août dernier, Bernard Saladin d'Anglure, professeur associé au Département d'anthropologie, a vécu des moments qu'il n'est pas près d'oublier. Avec son collègue Louis-Jacques Dorais, également professeur d'anthropologie, il est revenu dans le petit village de Quaqtaq, au Nunavik, où il n'avait pas remis les pieds depuis 1966. Il s'y est rendu à l'invitation de Johnny Oovaut, maire de cette communauté de 300 personnes. But de cette rencontre au sommet: faire connaître les débuts de leur jeune histoire aux habitants de Quaqtaq, dont plusieurs n'étaient pas nés ou encore au berceau lorsque ces hommes venus du Sud, fascinés par le Nord, sont venus les visiter, il y a 40 ans.
"Nous avons été accueillis comme des héros, raconte avec enthousiasme Bernard Saladin d'Anglure. Pourtant, ce sont eux qui nous ont tellement appris au cours des années. Pour la première fois, en les écoutant parler, j'ai compris que ces gens avaient une vision pluraliste de la culture et qu'ils étaient dotés d'une maturité extraordinaire. Je me suis senti soudainement plein d'optimisme face à l'avenir. On a tendance à relever les aspects misérabilistes de leur existence alors qu'on devrait plutôt avoir confiance en leur sagesse."
Au programme de cette véritable célébration de la mémoire: discussions autour de feux de camp, visites d'anciens postes de traite et de tombeaux des ancêtres et projections de diapositives. Parlant couramment l'inuktitut, Bernard Saladin d'Anglure et Louis-Jacques Dorais ont ainsi ravivé les souvenirs, retracé les débuts, réveillé les mémoires, répondant aux questions, tendant photos et documents, rappelant que rien n'est perdu quand un peuple persévère dans la quête de son identité.
"J'avais 19 ans quand je suis venu à Quaqtaq la première fois, évoque Bernard Saladin d'Anglure. C'était en 1956. Il y avait des igloos, des traîneaux à chiens et une dizaine de familles." Mais les choses ont bien changé depuis le jour où ce spécialiste des civilisations arctiques a découvert un monde où la chasse et la pêche constituaient les principales activités. "Quand j'y suis retourné, en 1965, il n'y avait plus aucune trace d'igloos, mais des maisons construites avec les matériaux qui avaient servi à bâtir l'école", explique l'anthropologue qui constate les effets du développement sans toutefois se permettre de le critiquer. "Au début, les missionnaires enseignaient en inuktitut, puis l'enseignement s'est fait en anglais. De fil en aiguille, les habitants du village ont perdu leur nom, leur religion et leur identité." Un mal existentiel Réaliste sans être passéiste, Bernard Saladin d'Anglure se rappelle avoir été vivement impressionné par "la bonne santé mentale" et la joie de vivre des habitants de Quaqtaq, lors de son premier séjour en 1956. Aujourd'hui, un mal existentiel planerait sur Quaqtaq, à l'instar de plusieurs communautés nordiques qui se sentent à l'étroit dans des façons de penser et de vivre en quelque sorte imposées. Pour contrer les effets de la déculturation et aider à redonner vie à ce peuple qu'il affectionne tant, Bernard Saladin d'Anglure a mis sur pied un projet qui lui tient particulièrement à coeur. Portant sur la revitalisation des noms personnels, ce projet vise à redonner leurs noms propres aux Inuits qui portent bien souvent un prénom anglophone et un nom de baptême "chrétien". Pourtant, avoir son propre nom, arriver à se nommer constitue le début de la redécouverte de soi, selon l'anthropologue. "Comment voulez-vous qu'un peuple trouve sa voie si ses habitants ne se reconnaissent même pas à travers leurs noms?" 
| |