
Du cerveau et du muscle
Une équipe de la Faculté de médecine
cerne le rôle d'une protéine essentielle au développement
des muscles et du coeur
par Jean Hamann
La devise Mens sana in corpore sano pourrait bien avoir
des assises biologiques au fin fond des cellules après
tout. C'est ce que porte à penser une étude publiée
par l'équipe d'Edward Khandjian, de la Faculté
de médecine, dans la dernière édition de
Molecular Biology of the Cell. La devise qui lie la santé
du cerveau et la vigueur du muscle et du coeur semble tout droit
inspirée de leurs travaux qui attribuent à une
famille de trois protéines un rôle fondamental dans
le développement du système nerveux et des muscles
striés.

Les zones rouges montrent les régions
du corps où la protéine FXR1P est produite chez
ces embryons de souris et de grenouille.
Cette équipe s'intéresse depuis plusieurs années
au syndrome du X fragile. Cette maladie, qui constitue la première
cause de retard mental héréditaire à travers
le monde, se manifeste, chez l'enfant, par des problèmes
d'apprentissage du langage et par des comportements hyperactifs
ou autistiques. "Jusqu'à présent, les chercheurs
ont surtout concentré leur attention sur le retard mental
qu'occasionne cette maladie, mais peu à peu, ils constatent
qu'elle a d'autres effets, notamment sur le coeur et les valves
cardiaques", souligne Edward Khandjian.
Cette maladie est causée par l'absence d'une protéine
appelée FMRP qui intervient dans le transport "longue
distance" de l'information génétique (ARN
messager) entre le noyau et le site de synthèse des protéines.
Cette protéine a deux proches parents, FXR1P et FXR2P,
dont la fonction était toutefois inconnue. Les trois protéines
sont présentes en concentrations variables dans les cellules
du corps; FMRP est particulièrement abondante dans le
cerveau alors que les cellules musculaires sont riches en FXR1P.
Pourquoi ces différences? C'est ce qu'ont voulu déterminer
Edward Khandjian, Marc-Étienne Huot, Nicolas Bisson, Laetitia
Davidovic, Rachid Mazroui, Yves Labelle et Tom Moss en étudiant
la fonction de FXR1P chez la grenouille.
Grâce à l'expertise du laboratoire de Tom Moss dans
le domaine de la microinjection, les chercheurs sont parvenus
à bloquer l'expression de FXR1P dans une cellule au moment
où l'embryon ne comptait que deux cellules. Après
sept jours de croissance, les embryons mutants sont à
moitié recroquevillés: leur système musculaire
ne se développe que d'un seul côté du corps,
celui où FXR1P est produite. Si, par microinjection encore,
on restaure la synthèse de cette protéine, l'embryon
muté se développe normalement. "Les quelque
1000 expériences de microinjection que nous avons effectuées
indiquent que FRXIP joue un rôle indispensable dans la
formation et le bon fonctionnement des muscles", conclut
le professeur Khandjian.
Les chercheurs ont déterminé que la non-expression
de FXR1P se répercute sur 129 gènes, dont la moitié
participe à la formation du système nerveux et
des muscles. Autre fait intéressant, la FXR1P de la grenouille
ressemble à 94 % à celle de l'homme. "Il s'agit
là d'une conservation étonnante, qui souligne l'importance
de cette protéine dans le règne vivant", ajoute
le chercheur.
Les trois protéines de cette petite famille se ressemblent
structurellement ce qui laisse supposer qu'elles auraient des
fonctions très similaires. Ceci expliquerait pourquoi,
chez les personnes atteintes du syndrome X fragile, les neurones
fonctionnent tant bien que mal en l'absence de FMRP", suggère-t-il.
La découverte du rôle de FXR1P ouvre de nouvelles
perspectives de recherches sur les maladies musculaires du type
dystrophie et sur les problèmes de malformation cardiaque.
"Il est beaucoup trop tôt pour parler de thérapie
génique, mais les connaissances fondamentales que nous
allons acquérir en étudiant le rôle de FXR1P
dans ces pathologies nous rapprochent d'un traitement",
estime le professeur Khandjian.
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