De la mélasse au sirop d'érable
Des recherches archéologiques conjointes
ouvrent de nouvelles perspectives sur les échanges entre
les anciennes colonies de la Guyane française et de la
Nouvelle-France
L'histoire n'a pas toujours le même prestige selon le
coin de la planète d'où on l'observe. C'est en
tout cas ce qu'a constaté l'archéologue Réginald
Auger, professeur au Département d'histoire, en collaborant
depuis presque dix ans aux fouilles sur l'Habitation de Loyola,
une plantation de mille hectares construite au milieu du 17e
siècle par les Jésuites en Guyane française.
Si les Québécois suivent avec intérêt
les découvertes archéologiques portant sur la période
de la Nouvelle-France, les Guyanais en Amérique du Sud
semblent pour leur part avoir bien moins d'intérêt
pour leur passé. "La plupart du temps, ils descendent
d'esclaves ou de bagnards du pénitencier de la capitale,
Cayenne, explique Yannick Le Roux, du Service régional
de l'archéologie de la Guyane. Beaucoup de sites archéologiques
ont été détruits car on considérait
l'histoire récente comme une période maudite à
cause de l'esclavage." Aux yeux de ce chercheur, l'archéologie
constitue pourtant un moyen privilégié de rendre
la parole aux esclaves qui n'ont pu témoigner de leur
expérience dans les textes retrouvés en archives.
Il a donc fallu que l'archéologue déploie bien
des efforts pour obtenir le classement historique de l'Habitation
de Loyola dont le terrain était convoité par des
investisseurs immobiliers. Yannick Le Roux a pu aussi bénéficier
de l'expertise développée au Québec et en
particulier à l'Université Laval sur l'histoire
de la colonisation, une période qui intéresse généralement
assez peu les experts de la métropole française.
Cette ancienne plantation, en opération de 1664 à
1708, constitue pourtant un modèle du genre avec ses 800
esclaves au service des Jésuites et sa production de sucre,
de café, de cacao, de coton. Régulièrement,
des étudiants québécois viennent donc prêter
main-forte à leurs collègues Guyanais pour dégager
les murs de la sucrerie ou découvrir les fondations de
l'ancien atelier et du moulin. De son côté, Réginald
Auger apprécie de pouvoir envoyer ses étudiants
sur un chantier les ouvrant à d'autres modes de pensée
que ceux en vigueur en Amérique du Nord.
La place de l'archéologie
"C'est vrai que nous avons pu travailler avec des approches
différentes en collaborant avec des Français",
témoigne Véronique Forbes. Cette dernière,
qui entame sa troisième année au baccalauréat
en archéologie, revient tout juste d'un séjour
de cinq semaines sur l'Habitation de Loyola en compagnie d'une
autre étudiante, Karine Vachon-Soulard. Tout au long de
leur stage, elles ont abondamment discuté avec leurs collègues
sur l'art et la manière d'enregistrer les données
et de faire des dessins sur un chantier, mais aussi sur la place
de l'archéologie. "Là-bas, ils ont plutôt
tendance à mettre l'archéologie au service de l'histoire
alors qu'ici nous considérons cette discipline comme autonome".
explique Karine Vachon-Soulard.
Les liens qu'entretenaient la Guyane française et la Nouvelle-France
jusqu'à la conquête anglaise intéressent
aussi beaucoup les archéologues. "Nous avons trouvé
des morceaux d'assiettes sur le chantier de l'Habitation très
comparables à celles utilisées ici et importées
de France, raconte Réginald Auger. Un étudiant
à la maîtrise a même découvert que
le fer des pelles et des pioches des esclaves de Guyane provenait
des forges du Saint-Maurice." Les recherches conjointes
menées sur l'histoire de ces deux anciennes colonies ouvrent
donc de nouvelles perspectives sur les échanges qui pouvaient
exister il y a quelques siècles entre les Caraïbes
francophones et le Québec. Il n'y a qu'à se souvenir
de l'importance, dans la cuisine de Nouvelle-France, de la mélasse,
un dérivé du sucre, importée notamment de
Guyane, pour comprendre que les biens et marchandises circulaient
beaucoup entre les Amériques au 16e et au 17e siècles.
Tout comme les hommes d'ailleurs puisque les Jésuites,
qu'ils soient basés en Guyane ou en Nouvelle-France, poursuivaient
le même objectif, celui d'évangéliser les
peuples autochtones.
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