De Bambi à Terminator
Le gentil cervidé est devenu un terroriste
environnemental
Au rythme où vont les choses, il ne serait pas étonnant
de voir apparaître sous peu une campagne publicitaire dont
le slogan serait: "Si vous aimez la nature, abattez un chevreuil".
Même l'influente Société Audubon - qui n'est
pas exactement un repaire de chasseurs sanguinaires - incite
les gens qui visitent son site Web à appuyer la chasse
au cerf de Virginie, "la seule façon humanitaire
et durable de protéger les écosystèmes contre
cette espèce".
Le vent a tourné pour Bambi. L'élégant cervidé
au regard si doux est devenu une menace pour la sécurité
des Américains - on estime que 1,5 million de collisions
auto-cerf surviennent chaque année sur les routes américaines
-, un danger pour l'intégrité des écosystèmes
forestiers et pour les espèces végétales
et animales qui en dépendent, et un ennemi juré
des producteurs agricoles et des compagnies forestières.
Cette situation a incité les responsables de la Chaire
de recherche industrielle CRSNG-Produits forestiers Anticosti
à choisir les relations cerf-forêts comme thème
central de leur récent colloque international. Une centaine
de spécialistes de plusieurs coins du monde ont convergé
vers le campus, du 25 au 29 août, et ce qu'ils ont raconté
avait de quoi faire dresser les oreilles de n'importe quel cerf.
Terminator
Dale McCullough, de l'University of California à Berkeley,
connaît bien les ravages dont sont capables les cervidés.
Depuis 40 ans, il étudie les problèmes de surpopulation
de cerfs dans plusieurs états américains ainsi
qu'au Japon. Même après tout ce temps, il s'étonne
encore de la plasticité et de l'adaptabilité de
ces animaux. Les opérations de réduction de population
de cerfs qu'il a mises de l'avant - et qui lui ont même
valu, bien malgré lui, de faire les manchettes nationales
à la télé américaine - ont toujours
rencontré une forte opposition de citoyens qui entretiennent
une vision disneyesque de la bête.
Son équipe travaille maintenant en pleine ville, à
Kensington en Californie, sur une population de cerfs qui a envahi
les quartiers résidentiels et qui risque d'y attirer des
couguars. "Il n'y a plus aucun lien entre l'habitat traditionnel
de ces cerfs et l'utilisation qu'ils font du territoire. Je demeure
dans cette ville et lorsque je sors dans ma cour, je suis presque
assuré d'en apercevoir un", raconte le chercheur.
Tous ses travaux lui ont enseigné une chose: les programmes
de contrôle de fertilité ou la relocalisation des
cerfs ont rarement du succès. Jusqu'à preuve du
contraire, la chasse semble donc le seul outil efficace de gestion
des populations surabondantes de cerfs.
Changement de régime
Les aménagistes de la faune prennent progressivement
conscience des impacts négatifs de la croissance des populations
de cerfs au Québec. Les densités actuelles atteignent
entre 7 et 12 bêtes/km2 dans le sud-ouest du Québec,
soit presque le double des seuils recommandés pour limiter
les impacts sur l'habitat, a souligné Jean-Pierre Ouellet
du Centre d'études nordiques.
À Anticosti, ce seuil critique a été franchi
depuis un bon moment. Les dernières estimations affichent
16 cerfs/km2. Tour à tour, des membres de la Chaire CRSNG-Produits
forestiers Anticosti ont fait part du cortège de problèmes
que cette surabondance occasionne: disparition progressive des
sapinières vierges en raison du broutage des jeunes plants,
impact négatif à long terme sur la végétation
des tourbières, menace pour la survie d'une orchidée
sauvage rare et baisse de la condition physique des cerfs.
La disparition progressive du sapin n'annonce pas pour autant
un crash démographique du chevreuil puisque la bête
semble se rabattre sur une autre espèce pour laquelle
on ne lui connaissait aucune affinité: l'épinette
blanche. "Les cerfs semblent adaptés aux conditions
restrictives d'Anticosti et ils pourraient se maintenir à
haute densité malgré une augmentation allant jusqu'à
40 % de la proportion d'épinette blanche dans leur diète
hivernale", estime l'étudiante-chercheure Joëlle
Taillon. Plastique, décidément très plastique
ce Bambi.
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