Tuyau du ciel
Les arbres matures ne seraient pas les pièges
à CO2 tant espérés
Les pays qui comptaient sur leurs forêts pour absorber
du CO2 et ainsi obtenir des crédits de carbone en vertu
de l'accord de Kyoto devront peut-être revoir leurs calculs.
En effet, une étude parue dans l'édition du 26
août de la revue Science met un bémol sur
la capacité réelle des arbres matures à
agir comme puits de carbone en réponse à une élévation
du CO2 atmosphérique. L'induction artificielle d'une hausse
de la concentration de ce gaz pendant quatre années ne
s'est pas traduite par une augmentation de la biomasse chez des
arbres matures, révèle l'étude à
laquelle a étroitement collaboré le professeur
Steeve Pépin, du Département des sols et de génie
agroalimentaire. Les chercheurs ont même découvert
qu'une hausse du CO2 ambiant pouvait accroître significativement
la quantité de gaz carbonique émis par les sols
forestiers.
Ces étonnants résultats ont été
obtenus grâce à un imposant dispositif expérimental
installé dans une forêt naturelle, située
à une quinzaine de kilomètres de Bâle en
Suisse. Pour étudier l'effet d'une élévation
de la concentration de CO2 atmosphérique sur les arbres,
Steeve Pépin et l'équipe du professeur Christian
Körner, de l'Université de Bâle, ont mis au
point un système permettant de diffuser du CO2 dans l'air
ambiant du feuillage à l'aide de tuyaux microperforés,
et d'y maintenir une concentration constante de ce gaz. "Chaque
jour, pendant les quelque 150 jours de la saison de croissance,
nous injections l'équivalent de 1000 $ de gaz carbonique
dans le système", souligne Steeve Pépin. Les
chercheurs ont dû faire ériger une grue de plus
de 30 mètres de hauteur pour déployer ce réseau
à la cime de 14 arbres. La longueur totale des tuyaux
qui serpentent à travers les branches pour y répandre
du CO2 atteint 10 kilomètres!
Au terme de quatre années d'enrichissement carbonique,
la croissance des 14 arbres étudiés se comparait
à celle des arbres témoins. Pendant cette période,
la concentration de CO2 a pourtant été maintenue
à un niveau dépassant de 40 % le taux normal de
gaz carbonique dans l'atmosphère terrestre. Par ailleurs,
les chercheurs ont noté un accroissement du flux de carbone
et de la photosynthèse, ce qui s'est traduit par une hausse
de la production de sucres dans les racines. Les principaux bénéficiaires
de cette hausse ont été les microbes du sol qui
se nourrissent de ces sucres, ce qui a provoqué une élévation
de 40 % des émissions de CO2 par le sol forestier. Encore
là, le piège à CO2 tant espéré
ne s'est pas matérialisé.
Steeve Pépin refuse toutefois de généraliser
les conclusions de cette étude à l'ensemble d'une
forêt parce que la réponse des arbres peut varier
en fonction de leur espèce et de leur âge. "La
technologie d'enrichissement en CO2 adaptée aux arbres
de grande taille que nous avons mise au point permet d'explorer
les effets d'une élévation de ce gaz dans différents
types de forêts matures, signale le chercheur. Il serait
bon de tester l'effet réel d'un tel enrichissement dans
divers écosystèmes forestiers avant d'avancer des
chiffres trop optimistes sur le potentiel de piégeage
de CO2 par les forêts", suggère-t-il.
|
|