Saveurs d'antan
Des chercheurs du Centre STELA sondent des ferments
anciens dans l'espoir de répondre aux besoins futurs de
l'industrie fromagère
Dans le cadre de ses travaux de doctorat en lien avec la production
de fromage, Nadine Lacroix a découvert un ferment ancien
qui produit des odeurs de putréfaction et de transpiration.
Elle est ravie. "Ces sont des arômes recherchés
par le secteur fromager, précise l'étudiante-chercheuse.
Ils donnent un caractère mature à des fromages
jeunes, de sorte qu'ils permettent d'économiser temps
et argent en maturation."
Ce ferment ancien fait partie d'une collection de 13 ferments
lactiques traditionnels prélevés en 1968 dans des
fromageries artisanales ontariennes par Douglas Emmons, alors
chercheur chez Agriculture et Agroalimentaire Canada. Trente
ans plus tard, au moment de prendre sa retraite, le chercheur
a fait don de ce petit trésor que personne n'avait eu
le temps d'étudier. Depuis, l'équipe de Jean-Christophe
Vuillemard (STELA), Daniel St-Gelais et Claude Champagne (Agriculture
et Agroalimentaire Canada) a entrepris de caractériser
la collection Emmons, histoire de vérifier si la réponse
aux besoins futurs des entreprises fromagères ne résidait
pas dans le passé. "Il existe une forte demande du
côté des entreprises pour des fromages ayant des
propriétés aromatiques nouvelles et uniques",
a indiqué Nadine Lacroix lors du colloque STELA qui se
déroulait les 30 et 31 mai à Québec. Un
sondage effectué en 2001 auprès de 29 entreprises
avait d'ailleurs révélé que la recherche
de nouvelles souches aromatisantes figurait au sommet de leurs
priorités en R et D.
Des arômes et des molécules
Les chercheurs ont donc incorporé chacun de ces ferments
à un caillé modèle et, après 15 jours
de fermentation, ils ont évalué le produit final
à l'aide d'une série de tests biochimiques et sensoriels.
Les résultats rendus publics par Nadine Lacroix, Diane
Gagnon et les chercheurs Vuillemard, St-Gelais et Champagne lors
du colloque STELA montrent que tous ces ferments produisent une
grande quantité d'acides aminés précurseurs
d'arômes dont la diversité témoigne de l'existence
de systèmes enzymatiques variés.
L'analyse des composés volatils qui se dégagent
de ces caillés fermentés a permis de confirmer
la présence d'une trentaine de molécules contribuant
aux arômes, dont deux composés clés: le 3-méthylbutanal,
qui produit des notes combinant la noisette grillée, le
chocolat et le malt, et l'acide isovalérique dont les
effluves sont caractéristiques des fromages qui ont beaucoup
de "vécu". De plus, huit experts du Centre de
recherche et de développement des aliments de Saint-Hyacinthe
qui ont effectué les analyses sensorielles (sniffing)
sur les caillés fermentés ont conclu que tous dégageaient
un arôme de fromage frais, attribuable au diacétyle,
mais que cet arôme était particulièrement
prononcé dans trois des ferments.
Par ailleurs, à la surprise des chercheurs, deux ferments
ont produit des quantités appréciables de GABA
(acide gamma-amino-butyrique), un composé dont les propriétés
calmantes permettent d'abaisser la tension artérielle.
Cette découverte porte les chercheurs du Centre STELA
à croire que le Canada pourrait emboîter le pas
au Japon où des produits riches en GABA, notamment du
lait fermenté en portion individuelle, ont fait leur apparition
sur les rayons. "Ces deux ferments laissent entrevoir la
possibilité de fabriquer des fromages possédant
non seulement des propriétés aromatiques uniques,
mais également un potentiel nutraceutique", souligne
Nadine Lacroix.
Les chercheurs travaillent maintenant à décrypter
les voies métaboliques qui conduisent à la synthèse
du 3-méthylbutanal et de l'acide isovalérique,
en plus de déterminer les conditions optimales nécessaires
à la production de GABA. Ils espèrent ainsi concocter
le meilleur ferment possible en combinant les souches bactériennes
qui montrent un fort potentiel aromatique. Ce travail est compliqué
par le fait que chacun des 13 ferments à l'étude
contient entre 20 et 30 souches différentes de bactéries.
Les essais de production de fromage, qui devraient commencer
l'hiver prochain, permettront de confirmer le potentiel aromatique
des ferments sélectionnés ainsi que le potentiel
nutraceutique du fromage riche en GABA.
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