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La vie de la floerkée fausse-proserpinie ressemble à une course folle contre l'empire de l'ombre. Cette plante, aussi modeste que rare, semble adaptée pour profiter au maximum de la courte saison pendant laquelle elle peut se nourrir des rayons du soleil. |
Copyright 2004 Steve Matson |
À preuve, pour ne pas perdre une seconde de la saison nouvelle, ses graines germent à partir de novembre, sa racine pousse tout l'hiver, sa tige émerge dès la fonte des neiges et, deux semaines plus tard, la voilà qui fleurit déjà. Si le cycle vital de la floerkée tourne à un tel régime, c'est que le feuillage des arbres qui se referme au-dessus d'elle en juin est un linceul qui annonce sa fin prochaine. Chez cette espèce, la sénescence est brutale: deux jours suffisent à faire disparaître toute trace de la plante. Mais est-ce bien le manque de lumière ou l'énergie qu'elle met à se reproduire qui sonne le glas de cette belle éphémère?
Pour lever le voile sur le facteur responsable du déclenchement
de la sénescence chez la floerkée, l'étudiante-chercheure
Ines Ben Mokhtar et le professeur Gilles Houle, du Département
de biologie, ont placé des spécimens de cette espèce
dans des conditions de serres sans pareilles dans la nature:
de la lumière à profusion et une vie sans reproduction
(par excision des fleurs). Leurs observations, rapportées
dans un récent numéro de l'American Journal
of Botany, montrent que la reproduction est une activité
épuisante pour cette plante. Les spécimens libérés
des corvées sexuelles atteignent une biomasse 50 % plus
élevée et leur longévité s'accroît
d'environ 30 % par rapport aux plantes soumises à des
conditions répliquant celles de leur milieu naturel. Les
deux biologistes ont même chiffré le coût
de la reproduction: une floerkée sacrifie un jour de vie
chaque fois qu'elle produit trois graines.
De son côté, la lumière ne semble pas produire
d'effets bénéfiques sur la durée de vie
de cette plante: les spécimens exposés à
la pleine lumière ont vécu près de 10 %
moins longtemps que les plantes cultivées à l'ombre.
"Ceci nous porte à croire que la sénescence
de la plante n'est pas enclenchée par la détérioration
des conditions lumineuses, mais plutôt par la maturation
des graines", conclut Gilles Houle.
Des aménagements forestiers qui viseraient à ouvrir
le couvert végétal pour laisser passer plus de
lumière n'aideraient donc en rien la prolifération
de cette espèce. La floerkée fausse-proserpinie
est rare sur l'ensemble de son aire de répartition, signale
le professeur Houle. Au Québec, où elle atteint
sa limite nord, elle se retrouve presque exclusivement dans les
forêts de feuillus riches et humides des îles du
Saint-Laurent.
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