Aux portes du mal
La douleur n'est pas toujours le symptôme
d'une maladie. Elle est parfois la maladie elle-même!
Souffrir, ça fait mal. Et cette souffrance est encore
plus grande lorsque personne autour de vous ne croit que votre
douleur est bien réelle. À ces trop nombreux "malades
imaginaires" qui souffrent alors que tous les tests et examens
médicaux affirment que tout va bien, Yves De Koninck livre
un message important: la douleur n'est pas toujours le symptôme
d'un mal sous-jacent; elle est parfois une maladie à part
entière causée par une anomalie du système
nerveux.
Invité à clôturer la 7e Journée de
la recherche de la Faculté de médecine, présentée
le 25 mai sur le campus, le professeur du Département
de psychiatrie, membre du Centre de recherche Université
Laval/Robert-Giffard, a d'abord rappelé qu'il faut distinguer
douleur chronique et douleur aiguë. Cette dernière
forme de souffrance joue un rôle essentiel dans notre bien-être
et notre survie. C'est elle qui nous pousse à nous éloigner
d'une source de chaleur brûlante ou encore à cesser
de frapper lorsqu'un marteau rate sa cible et aboutit sur un
doigt. "La douleur aiguë est une modalité sensorielle
comme les autres qui apporte une information utile au cerveau.
Elle nous permet de nous défendre contre la source du
problème. Mais, lorsque la douleur persiste sans raison,
qu'elle nuit aux activités sociales, qu'elle détruit
des vies et conduit au suicide, nous sommes confrontés
à un fonctionnement anormal du système nerveux",
juge-t-il.
Environ le tiers des gens devront un jour composer avec des épisodes
plus ou moins prolongés de douleurs chroniques. "C'est
une épidémie silencieuse peu reconnue par la société,
signale le Yves De Koninck. D'ailleurs, moins de 10 % des médecins
se préoccupent de la douleur chronique dans leur pratique
et le sujet est peu ou pas abordé pendant la formation
des étudiants en médecine. C'est étonnant,
considérant qu'il s'agit de la deuxième cause de
suicide chez les gens âgés."
Les douleurs neuropathiques auxquelles le chercheur consacre
ses travaux sont dues à une lésion du système
nerveux, le plus souvent à un nerf. Ces lésions
surviennent à la suite de blessures ou de maladies comme
le diabète, le zona ou le cancer. Une part importante
des maux de dos serait de cette nature. On leur attribue même
les énigmatiques douleurs que les amputés ressentent
à leur membre fantôme. Les souffrances qu'elles
engendrent démoralisent les patients et leurs médecins
parce qu'elles sont très difficiles à traiter.
De plus, les médicaments prescrits contre les douleurs
neuropathiques - des opiacés comme la morphine - entraînent
souvent d'importants effets secondaires.
Superaspirine
En conditions normales, explique le professeur De Koninck,
les signaux perçus par notre corps génèrent
un influx nerveux transporté par les cellules nerveuses
jusqu'à la moelle épinière et, de là,
il est transmis au cerveau où il est décodé.
"Lorsqu'on a mal à un pied ou à une main,
c'est dans la tête que la douleur est ressentie",
rappelle-t-il. Dans le cas de la transmission du signal douloureux,
il existe un système au niveau de la moelle épinière
qui détermine si le signal doit être relayé
ou non au cerveau. L'hypersensibilité des personnes souffrant
de douleurs neuropathiques serait due à une inversion
du mécanisme de répression de la transmission du
signal douloureux au niveau de la moelle. C'est pourquoi des
stimulations sensorielles qui normalement ne devraient pas produire
de douleur, comme une simple caresse, peuvent se traduire par
une perception de douleur atroce chez les patients neuropathiques.
Le chercheur attribue cette inversion du mécanisme de
contrôle à la perte d'une protéine (KCC2)
de la membrane de certaines cellules nerveuses de la moelle épinière.
Cette protéine est responsable du pompage des ions chlorures
vers l'extérieur des cellules nerveuses. Chez les personnes
souffrant de douleurs neuropathiques, cette pompe inverse le
flux normal des ions chlorures de sorte qu'elle excite les neurones
sensoriels de la moelle au lieu de les inhiber.
À la lumière de ces résultats, Yves De Koninck
envisage la création d'une nouvelle classe d'analgésiques,
capable de restaurer le potentiel inhibiteur des cellules nerveuses
de la moelle épinière. "Il reste à
démontrer que le mécanisme que nous avons identifié
intervient aussi dans les autres syndromes neuropathiques, précise-t-il.
Mais j'ose croire qu'il s'agit d'un mécanisme assez universel."
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