Des suppléments suspects
Les capsules de vitamine E feraient plus
de tort que de bien
par Jean Hamann
Deux études auxquelles ont participé des chercheurs
de la Faculté de médecine viennent de démontrer
coup sur coup que la prise de suppléments de vitamine
E n'apporte pas les bienfaits escomptés, du moins pas
chez les sujets vulnérables. Pire, ces suppléments
alimentaires pourraient même accélérer certains
cancers et augmenter significativement les risques d'insuffisance
cardiaque. Ces conclusions viennent donc réduire à
néant les espoirs de ceux qui tablaient sur la prise de
capsules de vitamine E pour se prémunir contre une récidive
de cancer ou de maladie cardiovasculaire.
Effets sur le cancer
Dans la première étude, dirigée par
le Centre de recherche en cancérologie de l'Université
Laval, Isabelle Bairati, François Meyer, André
Fortin, Bernard Têtu, François Harel, Éric
Vigneault, Jean Roy (décédé depuis) et sept
autres chercheurs québécois ont suivi, pendant
huit ans, 540 sujets qui avaient déjà souffert
d'un premier cancer. Pendant les trois premières années
de l'étude, la moitié des sujets devait prendre
une dose quotidienne de vitamine E (400 U.I.) alors que l'autre
moitié recevait un placebo. À partir de la quatrième
année, les participants des deux groupes cessaient la
prise de ces produits.
L'article que les chercheurs publient dans le numéro du
6 avril du Journal of the National Cancer Institute révèle
que, pendant les trois premières années de l'étude,
le risque d'avoir un cancer - qu'il s'agisse d'une récidive
du premier cancer ou d'une nouvelle tumeur - était 86
% plus élevé chez les participants du groupe suppléments
que dans le groupe placebo. À partir de la quatrième
année, la situation s'est inversée: le risque de
cancer était 30 % plus bas dans le groupe vitamine E.
Après huit ans, le nombre de cancers était comparable
dans les deux groupes. Les chercheurs en concluent que, pendant
les trois premières années, la prise de suppléments
a accéléré le développement de cancers
latents chez les sujets du groupe expérimental.
Effets sur le coeur
Dans l'autre étude, le cardiologue Gilles Dagenais,
du Centre de recherche de l'Hôpital Laval, et ses collaborateurs
du projet international HOPE (Heart Outcomes Prevention Evaluation)
ont suivi 9541 patients de 55 ans et plus qui souffraient de
maladies cardiovasculaires ou de diabète. Pendant au moins
six ans, la moitié des participants a pris une capsule
de vitamine E (400 U.I.) chaque jour et l'autre moitié
a pris un placebo. Comme les propriétés antioxydantes
de la vitamine E sont supposées prévenir la formation
de dépôts à l'intérieur des artères
(athérosclérose), on anticipait un effet préventif
des suppléments sur les maladies cardiovasculaires.
Or, les chercheurs n'ont observé aucune différence
dans l'incidence d'accidents cardiovasculaires graves - pas plus
que de cancers d'ailleurs - entre le groupe expérimental
et le groupe qui recevait le placebo, apprend-t-on dans le numéro
du 16 mars du Journal of the American Medical Association.
Les risques d'insuffisance cardiaque étaient même
13 % plus élevés chez les consommateurs de suppléments.
Que faire?
Les deux études indiquent clairement qu'en dépit
des propriétés antioxydantes de la vitamine E,
les suppléments n'ont pas fait de prodiges dans la prévention
du cancer ou des maladies cardiovasculaires. "Considérant
que nous n'avons trouvé aucune évidence bénéfique
et que nous avons même documenté des effets délétères
à la prise de suppléments de vitamine E, les personnes
qui souffrent de diabète ou de problèmes cardiovasculaires
ne devraient pas en consommer, recommande Gilles Dagenais. Pour
les personnes en bonne santé, la situation est moins claire.
Les études produites jusqu'à présent ne
sont pas concluantes. Il faudra attendre les résultats
d'une vaste étude en cours qui porte sur 30 000 personnes."
Isabelle Bairati abonde dans le même sens et préconise
la prudence. "Les personnes qui ont eu un cancer ne devraient
pas prendre de suppléments de vitamine E. Ils n'apportent
aucun bienfait et ils peuvent même être dangereux."
La chercheur questionne aussi la croyance populaire selon laquelle
les suppléments ne peuvent pas faire de tort aux personnes
en santé. En absence de démonstrations scientifiques
concluantes, elle prône plutôt la sagesse. "Une
alimentation équilibrée comportant cinq portions
quotidiennes de fruits et de légumes nous apporte toute
la vitamine E dont nous avons besoin. Il n'y a pas de raison
d'en consommer sous forme de suppléments."
|
|