Des trafics franco-québécois
par Thierry Bissonnette
Active depuis 1968, la revue Études littéraires
abordait dans son édition d'automne la question des Réseaux
littéraires France-Québec (1900-1940). Dirigé
par le sociologue de la littérature Denis Saint-Jacques,
ce collectif aborde une période charnière de la
littérature canadienne-française, alors que des
institutions telle l'École littéraire de Montréal
semblent annoncer une lignée solide d'auteurs et de critiques.
Si les choses se sont développées plus lentement
qu'espéré, l'observation des relations avec la
France littéraire constitue un prisme efficace pour saisir
le détail de cette évolution.
En marge d'un projet plus vaste autour des réseaux littéraires
mené par Saint-Jacques en compagnie du Français
Gérard Fabre, ce numéro de la revue propose quatre
approches distinctes. Chantal Savoie attire d'abord l'attention
sur la perception de certaines intellectuelles canadiennes par
rapport à l'Exposition universelle de Paris, en 1900.
Participantes à l'événement ou simplement
observatrices, ces lettrées révèlent
par leur discours et les liens qu'elles entretiennent avec leurs
pairs une transformation de la place des femmes dans l'institution
littéraire. Quant à Pierre Rajotte, c'est sur l'entre-deux-guerres
qu'il porte ses lumières. Par le biais de quelques exemples,
il constate qu'à cette période, il devient de plus
en plus utile de se faire valoir outre-mer, de s'attirer une
bonne critique, phénomène qui ne disparaîtra
pas de sitôt!
C'est concernant la même période que Pierre Lacroix
s'intéresse à l'invention d'une "latinité
canadienne-française". Dès les années
quarante, un réseau se profile entre la France, le Canada
français et l'Amérique du Sud sur la base de distinctions
idéologiques qui n'excluent pas un certain fascisme. Enfin,
Gwénaëlle Lucas analyse un cas plus circonscrit,
soit celui de la Bretonne Marie le Franc qui, exilée au
Canada en 1906, va miser sur les réseaux institutionnels
pour valoriser des entreprises littéraires dites excentrées.
Complicités et divergences
Dans une veine complémentaire, les Presses de l'Université
Laval publiaient récemment l'ouvrage Échanges
intellectuels entre la France et le Québec (1930-2000),
placé sous la direction de Stéphanie Angers et
de Gérard Fabre. La question des relations franco-québécoises
est ici traitée par le biais d'une analyse des liens entre
la revue européenne Esprit et les revues québécoises
La Relève, Cité libre, Parti pris
et Possibles.
Le choix de la revue Esprit comme point convergent de
cette étude conduit à la situer du côté
d'un catholicisme de gauche. À partir d'une mise en contexte
de cette revue, les différentes phases de son existence
sont posées en parallèle avec la succession des
revues québécoises citées. Il en résulte
à la fois la description d'un réseau et une peinture
de notre intelligentsia par le biais de ses périodiques.
De la Deuxième Guerre mondiale à aujourd'hui, différents
enjeux la guerre d'Algérie et les troubles d'octobre
1970 par exemple permettent d'accentuer des complicités
ou de révéler des divergences. D'influences en
échanges, d'échanges en malentendus, c'est toute
la formation du Québec contemporain qui se profile ici,
alors que sont publiés dans les pages d'Esprit des
gens tels Anne Hébert, Jacques Brault, Fernand Dumont,
Charles Taylor et plusieurs autres.
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