Un marqueur marqué
Une équipe de la Faculté de médecine
rapporte d'étonnantes fluctuations chez un marqueur de
risque de maladies cardiaques
par Jean Hamann
L'enthousiasme engendré par un nouvel indicateur de
risque de maladies cardiovasculaires, appelé CRP, pourrait
bien s'avérer prématuré si on en juge par
les résultats d'une étude menée au Centre
de recherche de l'Hôpital Laval. Dans le dernier numéro
de Archives of Internal Medicine, une publication de l'American
Medical Association, les chercheurs Peter Bogaty, Luce Boyer,
Gilles Dagenais, Serge Simard et Fernand Bertrand, de la Faculté
de médecine, et leurs collègues montréalais
Lawrence Joseph et James Brophy, rapportent que la CRP fluctue
considérablement, sans raisons apparentes, lorsqu'elle
est mesurée à répétition chez un
même patient.
Depuis une dizaine d'années, la CRP (protéine C
réactive) est saluée par une partie du monde médical
comme la réponse au fait qu'une forte proportion de victimes
d'accidents cardiaques possède un profil lipidique normal.
Comme il n'est pas possible d'établir le niveau de risque
de ces personnes à partir de leur taux de cholestérol,
des chercheurs ont proposé d'ajouter la mesure de la CRP
parmi les tests pratiqués de façon routinière
lors des examens périodiques. La protéine C réactive
est libérée dans le sang lors de la réponse
inflammatoire d'un organisme soumis à des stress comme
une infection ou une maladie cardiaque. La concentration de cette
protéine permet de définir trois niveaux de risque:
bas (<1 mg/L), modéré (de 1 à 3 mg/L)
et élevé (>3 mg/L). Lorsqu'elle est utilisée
en clinique, la CRP a une incidence sur le niveau de risque attribué
à chaque patient, sur le type de traitement qui lui est
prescrit et sur l'évaluation de l'efficacité de
ce traitement lors du suivi médical.
L'équipe de Peter Bogaty a testé l'idée
qu'un niveau de risque donné pouvait être associé
à chaque patient en fonction de son résultat au
test de la CRP. Pour ce faire, les chercheurs ont mesuré
la concentration de cette protéine à répétition
- de deux à huit reprises - lors du suivi de 159 patients
qui avaient déjà eu des problèmes cardiaques,
mais dont l'état était stable. L'intervalle entre
les prises de sang variait de deux semaines à six ans,
selon les sujets. À la surprise des chercheurs, 40 % des
patients ont changé de catégorie de risque entre
le premier et le second examen, peu importe si le temps écoulé
était de quelques semaines ou de quelques années.
"On s'attendait à ce que la valeur de la CRP fluctue,
mais pas autant que ça, commente Peter Bogaty. Aucune
raison apparente ne permet d'expliquer ces variations."
À la lumière de ces résultats, le chercheur
juge qu'il est prématuré de prendre des décisions
cliniques qui reposent sur la CRP. Ce test, encore peu utilisé
au Canada, compte beaucoup d'adeptes parmi les médecins
américains. D'ailleurs, une vaste étude internationale
visant à évaluer le son potentiel dans la pratique
médicale est en cours. "D'ici à ce que l'on
en sache plus sur la CRP, on ne devrait pas l'utiliser en clinique,
recommande Peter Bogaty. Sans parler de danger, je dirais que
des décisions inappropriées pourraient être
prises par des médecins qui l'utiliseraient pour planifier
le traitement de leurs patients."
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