
Rien ne va plus
Les dés sont souvent pipés dans
les démos des cybersites de gambling
par Jean Hamann
Histoire de faire tester le produit, les propriétaires
de casinos virtuels racolent leurs clients à l'entrée
de leur site en les invitant à jouer gratuitement quelques
parties pour le plaisir. Rien de plus normal. Le problème,
selon des chercheurs de l'École de psychologie qui ont
exploré ces casinos, est que les démos que proposent
beaucoup de ces sites laissent miroiter des gains qui ne se concrétisent
pas lorsque de l'argent véritable est sur la table virtuelle.
Pour les besoins de la science, Serge Sévigny, Martin
Cloutier, Marie-France Pelletier et Robert Ladouceur ont visité
117 casinos virtuels où ils ont joué, en mode démo,
100 parties de machines gobe-sous. Dans 45 de ces casinos (39
% du total), le taux de retour était clairement supérieur
à 100 % pendant la phase d'essai. Pour vérifier
si la chance allait éventuellement leur faire défaut,
les chercheurs ont joué 400 autres parties de pratique
dans ces établissements particulièrement généreux.
Même après 500 parties, près de la moitié
de ces 45 casinos, soit 18 % du total, leur donnaient encore
un retour positif sur leurs mises.
Les chercheurs ont choisi cinq sites au hasard parmi ces 45 casinos.
Pendant la phase démo, le retour sur la mise dans ces
cinq établissements avait varié entre 110 % et
520 %. Invitant non? Comme le font sans doute spontanément
bon nombre de joueurs qui croient que la chance est "de
leur bord", les chercheurs sont entrés dans chacun
de ces cinq casinos virtuels, ils ont ouvert un compte dans lequel
ils ont versé 100 $, et ils ont joué.
Au terme de plus de 100 parties, le taux de retour sur la mise
s'était sérieusement dégonflé dans
quatre de ces casinos; il ne se situait plus qu'entre 49 % et
84 %. Dans le cinquième, le gain a été de
14 $, mais surprise!, le casino a refusé de payer prétextant
qu'un nombre insuffisant de parties avaient été
jouées. "Nous sommes retournés dans ce site
pour jouer l'argent qui nous restait et nous avons tout perdu,
raconte Serge Sévigny. Un autre casino a refusé
de nous retourner la somme qui restait dans notre compte."
Bref, leur périple dans les casinos virtuels s'est soldé
par une perte sèche.
Les casinos virtuels risquent de causer plus
de problèmes de jeu que les vrais casinos. On peut y jouer
dans l'intimité de son foyer, 24 heures sur 24, et il
n'y a aucune pression sociale pour inciter à arrêter.
Pour vérifier si la malchance pouvait expliquer ce
revirement de situation, les chercheurs sont retournés
jouer, en mode démo, dans chacun de ces cinq casinos.
Le taux de retour sur leur mise est remonté à des
niveaux allant de 114 % à 238 %, rapportent-ils dans le
dernier numéro de la revue scientifique Computers in
Human Behavior. Pourtant, plusieurs de ces sites proclament
que la démo a les mêmes caractéristiques
que le véritable jeu, souligne le chercheur. "Il
faut être très prudent avec les casinos virtuels,
poursuit-il. Le taux de retour pendant les vraies parties est
souvent plus bas que pendant la démo et rien ne garantit
que vous recevrez de l'argent si jamais vous gagnez."
Illégal
Le chiffre d'affaires des casinos virtuels est estimé
à quelques milliards de dollars par année. Les
femmes, qui ne constituent que 5 % de la clientèle des
véritables casinos, formeraient 40 % des habitués
de ces sites. Au Québec, en 2002, environ 14 000 adultes
ont pris part à cette forme de jeu. "Les casinos
virtuels risquent de causer plus de problèmes de jeu que
les vrais casinos, croit Serge Sévigny. Les gens peuvent
y jouer dans l'intimité de leur foyer, 24 heures sur 24,
et il n'y a aucune pression sociale pour les inciter à
arrêter. Tu peux perdre de l'argent très vite à
ce jeu. Ça commence pour le plaisir et on ne sait pas
comment ça peut finir."
En plus, a constaté le chercheur, au cours de la partie,
les joueurs reçoivent continuellement des messages qui
entretiennent les pensées erronées par rapport
au jeu, du genre "plus on joue, plus on s'améliore".
"À chaud, même des personnes rationnelles peuvent
oublier ce qu'elles savent sur leurs chances réelles de
gagner", analyse-t-il.
Au Canada, comme dans plusieurs autres pays, il est illégal
d'établir un casino virtuel et tout aussi illégal
d'y jouer. Comme l'activité des cybercasinos étrangers
est difficile à réglementer, Serge Sévigny
propose de leur couper les vivres à la source. "Dans
un monde idéal, les compagnies de crédit pourraient
s'entendre pour interdire le recours à leurs cartes dans
ces sites. Il faudrait toutefois qu'il y ait consensus entre
toutes ces compagnies pour que cette approche soit efficace."
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