
Où va George W?
Le second mandat du président américain
vu par le politologue Charles-Philippe David
par Pascale Guéricolas
George W. Bush va sans doute se concentrer davantage sur la
politique intérieure dans les années à venir,
la situation actuelle en Irak ne l'incitant pas à prendre
d'autres États pour cible. On devrait donc entendre prochainement
parler de réforme de la sécurité sociale,
des questions de santé, de l'immigration illégale
ou des impôts et un peu moins d'Al-Quaïda et de l'Axe
du mal.
C'est ce qu'a déclaré le politologue Charles-Philippe
David, invité, le 26 janvier, par la Chaire du recherche
du Canada en sécurité internationale de l'Université
Laval à venir donner sa vision de ce que sera le second
mandat du président américain. Titulaire de la
Chaire Raoul-Dandurand sur les études stratégiques
et diplomatiques à l'UQAM, Charles-Philippe David se refuse
à jouer les devins et se méfie comme la peste des
explications simplistes. Mais il connaît la politique étrangère
américaine comme le fond de sa poche. Une politique comparable
selon lui à une pieuvre en raison des nombreuses administrations
la composant, et qui a pris un tournant quasiment révolutionnaire
depuis les événements du 11 septembre 2001. "L'équation
"États voyous plus terrorisme égale danger
pour la sécurité des Etats-Unis" a une portée
à long terme pour les États-Uniens, a expliqué
le conférencier. Pour la première fois, la lutte
contre le terrorisme prend la forme d'une véritable guerre
donnant la légitimité à ce pays pour envahir
l'Irak."
Un blocage bureaucratique
Bien décidée à en découdre avec
les gouvernements favorables aux terroristes, l'administration
Bush privilégie en effet le conflit classique centré
sur un État alors que justement les terroristes se moquent
des frontières. Pourquoi un tel choix? "Je pense
que la politique étrangère américaine souffre
de manque d'imagination et que ses acteurs se démarquent
peu du modèle de la guerre froide qui a longtemps défini
leur manière de voir le monde, remarque Charles-Philippe
David. Il s'agit en fait d'un blocage bureaucratique." À
ses yeux, le fait d'envahir l'Irak constitue un cas classique
de faillite décisionnelle, ou encore une auto-intoxication
des décideurs par une idéologie bien précise,
celle des néo-conservateurs. Profitant du traumatisme
provoqué par la chute des deux tours du World Trade Center,
ces derniers ont réussi à convaincre les membres
influents de la Maison-Blanche de la justesse de leurs vues et
à prendre le contrôle du Pentagone pour amener le
président à envahir l'Irak.
"Ils ont kidnappé le processus de décision",
déplore Charles-Philippe David, qui ne comprend pas comment
la conseillère personnelle de George W. Bush, Condoleezza
Rice, a pu délaisser son rôle d'arbitre pour se
rallier aux néo-conservateurs. L'engagement américain
en Irak s'explique donc selon lui en grande partie par l'influence
prédominante au sein de la Maison-Blanche d'une idéologie
visant à asseoir de façon agressive la domination
des États-Unis sur le monde, sans égard pour les
organisations internationales. Il ne croit pas, par contre, à
une guerre faite au nom du pétrole, les États-Uniens
ayant déjà accès à cette ressource
en Irak, pas plus d'ailleurs qu'à une victoire des militaristes
puisque nombre de ceux-ci, pressentant le bourbier actuel, déconseillaient
au président de s'engager dans ce type de conflit.
Partageant en grande partie l'analyse de son collègue
sur de l'Irak, Louis Balthazar, autre participant à la
rencontre, pense que l'avenir pourrait s'annoncer moins belliqueux
comme le laisse présager le dernier discours devant le
Sénat de la secrétaire d'État Condoleezza
Rice. "Pour la première fois, note-t-il, un membre
de l'administration Bush a dit "Il faut écouter nos
partenaires" et "C'est le temps de la diplomatie".
Bien sûr, cela peut ressembler à de belles paroles,
mais cela reste un changement important quand même."
Selon ce spécialiste des États-Unis, George W.
Bush pourrait donc se concentrer davantage, au cours de son second
mandat, sur la situation intérieure, et donc s'attaquer
à des dossiers comme la baisse des taxes, l'exploration
pétrolière dans le sanctuaire de l'Alaska ou encore
le renversement du jugement de 1973 sur l'avortement. Bref, autant
de prises de position plutôt inquiétantes pour les
partisans d'une politique plus sociale.

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