Snowball Earth
Des chercheurs du Centre d'études nordiques
découvrent la richesse biologique d'un des milieux les
plus hostiles de la planète
par Jean Hamann
La plupart des gens associent spontanément chaleur
avec vie luxuriante, et froid avec mort. Pas Warwick Vincent.
Spécialiste des cryoenvironnements, ce professeur du Département
de biologie cherche la vie là où peu de personnes
osent s'aventurer tellement il y fait froid. Et il en trouve.
Le chercheur et ses collègues Derek Mueller et Sylvia
Bonilla, du Centre d'études nordiques, viennent d'apporter
une autre preuve de l'existence d'une vie qui bat dans les milieux
extrêmes en étudiant la diversité biologique
et en quantifiant la biomasse des communautés de micro-organismes
vivant dans l'un des coins les plus hostiles de la planète.
photo Warwick Vincent
Les trois chercheurs se sont rendus sur la plate-forme glaciaire
Markham, située au 83e parallèle dans le nord du
nord de l'Arctique canadien. Les conditions qui prévalent
dans cette région glacent le sang. La température
moyenne annuelle y est de -18 degrés C. En février,
le mois le plus froid, la température moyenne atteint
un maigre -33 degrés C. Pendant toute l'année,
le mercure ne franchit le point de congélation qu'à
78 occasions; c'est alors que des étangs se forment sur
environ 10 % de la surface de cette plate-forme de 40 km2. L'équipe
de Warwick Vincent a profité de ces rares instants de
répit glaciaire pour sonder le terrain.
Les chercheurs ont découvert qu'une couche formée
de nombreuses espèces de bactéries et d'algues
microscopiques tapisse le fond de ces étangs. "Nous
avons été surpris par la richesse et la diversité
des communautés qui vivent dans des conditions aussi extrêmes",
avoue le professeur Vincent. Ces communautés montrent
des concentrations élevées de chlorophylle a et
b, ainsi que de pigments caroténoïdes, signalent
les chercheurs dans l'article qu'ils publient dans un récent
numéro de la revue Cryobiology. Elles sont aussi
riches en pigments capables de bloquer le rayonnement ultraviolet,
une adaptation qui réduirait les dommages causés
par les intenses radiations solaires lors de l'été
arctique.
Les chercheurs ont estimé que les étangs de la
plate-forme glaciaire Markham renfermaient une biomasse totale
de 11 200 tonnes. "C'est extraordinaire pour une communauté
de micro-organismes, commente le professeur Vincent. Dans les
conditions qui prévalent là-bas, c'est l'équivalent
d'une forêt!"
Une hypothèse en voie de confirmation?
Ces observations apportent de la glace au moulin de l'hypothèse
dite Snowball Earth voulant que la vie soit apparue sur
Terre à l'ère précambrienne, au moment où
notre planète était sous l'emprise d'une vaste
glaciation. Les conditions qui prévalaient à cette
époque se comparent à celles qu'on trouve aujourd'hui
sur la plate-forme Markham, sans pour autant rendre impossible
la présence florissante d'organismes vivants.
Les caractéristiques des espèces qui vivent aujourd'hui
dans les étangs glaciaires - tolérance aux cycles
répétés de gel-dégel, croissance
à des températures très basses, résistance
aux radiations solaires intenses et à l'obscurité
hivernale, et capacité de survivre à des périodes
prolongées de dormance - auraient donc de profondes racines
phylogénétiques. "Elles pourraient être
apparues à la suite des premières grandes glaciations
qui sont survenues sur la planète il y a 2,3 milliards
et 900 millions d'années", avance Warwick Vincent.
Le réchauffement climatique que connaît l'Arctique
menace l'existence de ces remarquables cryoenvironnements, constatent
les chercheurs. En 2003, Derek Mueller et Warwick Vincent rapportaient
que la plate-forme glaciaire Ward Hunt, la plus vaste de l'Arctique,
située à 30 km à l'ouest de celle de Markham,
s'était brisée soudainement entre 2000 et 2002.
Cette plate-forme avait commencé à se former il
y a 4 500 ans et elle avait atteint sa pleine expansion depuis
3 000 ans.
|
|