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6 janvier. Dans une salle d'entraînement du PEPS remplie de gens qui se sont juré que, cette année, ils allaient faire de l'exercice régulièrement, un homme, qui a quatre fois l'âge des jeunes qui l'entourent, mouline péniblement sur un vélo stationnaire. La grâce a quitté le corps de Zbigniew Jarnuszkiewicz, mais, dans son regard qui fixe un point distant - peut-être le sommet d'une montagne imaginaire qu'il s'apprête à gravir - on devine que la détermination, elle, l'habite toujours. Sur cette bicyclette stationnaire, le vieil homme poursuit une quête entreprise il y a très longtemps, une quête qui, même si elle emprunte de nouveaux chemins à mesure que ses forces déclinent, tend toujours vers le même but. |
photo Marc Robitaille |
L'Animal
Ce ne sont pas les difficultés qui ont manqué
durant la jeunesse de cet homme. À chaque occasion, l'effort
physique s'est imposé comme réponse. Né
en Pologne en 1917 pendant la Première Guerre mondiale,
il quitte son pays pendant la deuxième grande guerre et
devient officier de la Première Division polonaise en
France. Il est fait prisonnier et il passera quatre ans dans
des prisons de guerre allemandes.
Dans ces camps où s'entassent jusqu'à 4 000 prisonniers,
le combat pour demeurer sain de corps et d'esprit s'engage. D'abord,
il obtient de ses gardiens l'autorisation de courir autour du
baraquement. Bientôt, d'autres prisonniers l'imitent, si
bien que des compétitions s'organisent; un championnat,
qu'il remporte, couronne ses efforts. Plus tard, un réservoir
d'eau servant en cas d'incendie devient une piscine où
ses geôliers l'autorisent à faire des longueurs.
D'autres prisonniers l'initient à la boxe, où sa
grande résistance physique, qui lui permet d'épuiser
successivement trois ou quatre partenaires d'entraînement,
lui vaut le surnom de "l'Animal".
Après la guerre, il se rend en Angleterre où il étudie l'architecture. Il entreprend ensuite une carrière d'architecte à Londres où il participe à l'effort de reconstruction dans le secteur de l'habitation sociale. Un jour, à l'heure du lunch, il observe un tronc d'arbre à la dérive sur la Tamise et le parallèle avec sa propre vie le bouleverse. Il a 37 ans et il décide de tout quitter pour émigrer à Montréal. "Je ne savais même pas qu'on y parlait français", confesse-t-il maintenant.
En 1960, l'École d'architecture de l'Université Laval ouvre ses portes et il y devient le premier professeur de composition architecturale. Il y restera jusqu'à sa retraite en 1989. En marge de sa carrière universitaire, il oeuvre comme architecte dans une firme privée de Québec où il conçoit et dessine, entre autres, les pavillons Pouliot, Vachon et Lacerte, de même que la maison Michel-Sarrazin, une résidence pour les malades en phase terminale.
La fierté dans l'effort
Pendant la presque totalité de sa carrière
universitaire, le professeur Jarnuszkiewicz parcourait chaque
jour 10 km à la course. Une routine qui faisait partie
de sa vie quotidienne, comme se brosser les dents, dit-il. Pourquoi
courir? "Parce que c'était plus difficile que marcher,
répond-il simplement. J'aime les choses qui présentent
des difficultés."
Cette philosophie de vie a imprégné l'enseignement
qu'il donnait à ses étudiants, en particulier pendant
la deuxième partie de sa carrière qu'il a consacrée
aux liens entre l'architecture et les personnes âgées.
"La vieillesse n'est pas une maladie, insiste-t-il. Je suis
vieux, mais je ne suis pas malade. L'architecte doit empêcher
les barrières physiques pour les personnes âgées,
mais il ne doit pas supprimer toutes les difficultés.
En vieillissant, il est essentiel de continuer à bouger
pour maintenir notre bien-être physique et mental. Les
difficultés sont essentielles parce que les surmonter
nous permet d'être fier de notre vieillesse. La vraie misère,
c'est de perdre la fierté de soi-même."
Aujourd'hui, c'est à petite vitesse que Zbigniew Jarnuszkiewicz
poursuit sa quête du difficile. Il pose d'ailleurs un regard
très lucide sur ses performances physiques actuelles,
et ce regard ne laisse aucune place à la nostalgie des
années où son corps était une formidable
machine. "Voir un jeune athlète courir avec élégance,
c'est très beau sur le plan esthétique. Moi, lorsque
je marche ou que je fais des exercices, ce que les autres voient,
c'est un vieux avec une canne qui fait des exercices laborieusement.
Je ne suis pas beau à voir, mais bouger m'apporte encore
une très grande satisfaction. Je n'aspire plus à
compétitionner avec les plus jeunes. J'aspire uniquement
à la victoire sur ma propre faiblesse."
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