
L'or bleu fait pomper les Américains
Y a-t-il lieu de s'inquiéter d'éventuelles
exportations massives d'eau du Canada vers les États-Unis?
par Renée Larochelle
Quatre cents litres d'eau potable par jour: c'est ce que chaque
citoyen consomme en moyenne aux États-Unis. Vous frémissez?
Pourtant, tirer la chasse d'eau, prendre un bain, remplir la
piscine, arroser la pelouse et le jardin, laver la voiture -
et souvent l'allée qui l'héberge constituent
en quelque sorte des gouttes qui, à grande échelle,
font déborder le vase de la consommation dite normale.
À côté de cet usage purement domestique,
il y a les énormes besoins en eau que nécessitent
l'irrigation des terres en Californie et dans le Sud-Ouest américain
pour des fins agricoles. Dans ce domaine, les dépenses
en eau ne se comptent pas en centaines de litres, mais en milliards
de mètres cubes. Nos voisins du Sud écumant leurs
propres sources jusqu'à plus soif, y a-t-il lieu de s'inquiéter
d'éventuelles exportations massives d'eau du Canada vers
les États-Unis?
"Non, enfin, pas pour le moment", assure Frédéric
Lasserre, professeur au Département de géographie
et conférencier lors du colloque "L'eau et les Amériques"
qui a eu lieu les 14 et 15 octobre sur le campus. "En fait,
les coûts liés aux infrastructures sont tellement
exorbitants que les projets d'importation d'eau ne sont plus
rentables en Amérique du Nord." De plus, les Américains
n'exploitant pas les forêts et les minerais dans les zones
qui ne sont pas ouvertes à l'exploitation, pourquoi la
situation serait-elle différente pour l'eau? "Aucun
projet majeur d'exportation d'eau du Canada n'est sérieusement
étudié en ce moment, ajoute le géographe.
Sans compter que George W. Bush s'est prononcé contre
les exportations d'eau des Grands Lacs."
Cela dit, plusieurs projets de dérivation et d'exportation
d'eau à partir du Canada flottent dans l'air depuis le
début des années 1960, mais ne se sont toutefois
pas réalisés, faute de moyens financiers et d'appuis.
D'autres sont encore bel et bien sur la table et ont reçu
l'appui de plusieurs firmes d'ingénierie. C'est le cas
du Projet Grand qui consisterait à convertir la baie James
en un grand lac d'eau coulant en douce vers les Grands Lacs et,
de là, vers l'Ohio, le Wisconsin et le Colorado. Pour
répondre à la demande américaine, on ouvrirait
tout grand les vannes? Heureusement, le gouvernement fédéral
a déjà mis le holà à ce roman fleuve
en mettant en uvre une stratégie visant à prévenir
le prélèvement d'eau à grande échelle,
à la fin des années 1990.
"Ceux qui sont en faveur de la vente d'eau disent que, de
toute façon, l'eau qui se jette dans la mer est perdue
et gaspillée, note Frédéric Lasserre. Outre
le fait que le Canada dispose d'énormes quantités
d'eau, ces personnes avancent que les revenus d'exportation découlant
de la vente d'eau pourraient aider le pays à rembourser
la dette dans le domaine de la santé, par exemple. De
leur côté, ceux qui sont contre se demandent pourquoi
le Canada fournirait aux États-Unis une ressource qu'ils
ne savent pas gérer eux-mêmes." Une chose est
certaine: l'eau ne doit pas devenir une marchandise, car elle
serait alors assujettie à des accords commerciaux, y compris
celui de l'ALENA. "Une fois les exportations entamées,
il serait en effet impossible pour le Canada de les contrôler",
rappelle le géographe.

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