D'où viennent les Inuits?
Le débat fait rage chez les archéologues
mais les subventions sont épuisées
Depuis plusieurs années, un groupe de chercheurs de
l'Université Laval, de l'Université McGill et de
l'Institut culturel Avataq, un organisme inuit, arpentent la
côte du détroit d'Hudson au nord du 60ème
parallèle entre Salluit et Quaqtaq, au Nunavik. La plupart
du temps en canot, ils cherchent des sites de campement qu'ont
pu utiliser les Inuits ou leurs ancêtres les Paléoesquimaux.
Des recherches qui vont sans doute pouvoir nourrir un débat
très chaud sous ces cieux polaires, celui portant sur
l'origine des Inuits.
"Le site le plus ancien que nous avons découvert
sur le détroit d'Hudson remonte à 3 600 ans, explique
Daniel Gendron, étudiant au doctorat en archéologie
travaillant pour Avataq. Il s'agit d'un campement avec un cercle
de pierre, ainsi que des restes d'outils en pierre servant à
travailler les peaux et à préparer les viandes."
Apparemment, ce lieu de vie aurait été occupé
par les Paléoesquimaux, un groupe venu de Sibérie
orientale et d'Alaska qui a émigré vers l'Arctique
de l'Est en quelques générations en suivant la
côte, et sans doute les grandes baleines. Puis, un deuxième
groupe émigre à son tour de l'Ouest voici 1000
ans pour élire domicile dans la même région.
La polémique fait rage sur la question du contact entre
ces deux peuples. Certains pensent que les Paléoesquimaux
ont disparu sans rencontrer les Inuits, victimes de changements
climatiques, tandis que d'autres soutiennent que les premiers
arrivants se sont assimilés en rencontrant les peuples
provenant plus récemment de l'Alaska.
"Les recherches que nous avons menées prouvent qu'il
n'y a pas eu de contacts entre les deux peuples, affirme Daniel
Gendron. Sur le site de l'île aux Igloos, par exemple,
on a retrouvé des traces de campement à deux moments
très différents grâce à la datation
des objets." Selon le chercheur, l'arrivée des Inuits
actuels remonterait aux années 1200 ou 1300, et non vers
l'an 1000 comme les historiens le croyaient jusqu'à présent.
Bien évidemment les certitudes dans ce domaine évoluent
très rapidement, et les chercheurs aimeraient bien poursuivre
leurs fouilles, même si ils ont épuisé la
subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada
de 600 000 $ dont ils disposaient pour mener à bien leur
projet. Plusieurs professeurs de l'Université Laval en
géographie, en géomatique, en archéologie
s'allient donc à l'Institut Avataq pour solliciter une
autre enveloppe du CRSH afin d'en apprendre davantage sur l'histoire
des migrations dans ce secteur et le mode de vie des premiers
habitants.
Des certitudes ébranlées
Plusieurs sites déjà explorés présentent
un grand potentiel car les objets retrouvés ont été
bien préservés. En creusant à environ un
mètre de profondeur, les archéologues ont ainsi
découvert des restes d'animaux chassés par les
Paléoesquimaux sur une île située à
20 minutes en canot de Salluit, ce qui leur a permis de renverser
quelques idées reçues sur leur alimentation. "On
les imagine toujours mangeant uniquement du phoque, explique
Daniel Gendron. En fait, il semble qu'ils chassaient une grande
variété d'animaux, des morses, des bélugas,
des renards, des bernaches. De plus, ils n'utilisaient pas seulement
un outillage en pierre." Sur ce site, les chercheurs ont
ainsi mis la main sur des harpons et des pointes de lance faits
en ivoire et en andouiller, le bois de caribou.
Toutes ces recherches intéressent grandement les Inuits
qui demeurent au Nunavik, car ils veulent en apprendre davantage
sur leur histoire. Des professeurs des écoles des villages
proches des sites ont déjà eu l'occasion de s'initier
à l'archéologie en prenant un cours dispensé
par l'Université McGill, afin d'informer adéquatement
leurs élèves sur leurs origines. L'expérience
pourrait se poursuivre si les chercheurs obtiennent la subvention
demandée. Les témoignages des aînés
des communautés inuites seraient par ailleurs mis à
contribution dans les prochaines recherches. En effet, les initiateurs
du projet aimeraient mettre sur pied un logiciel interactif permettant
de visualiser les cartes des sites fouillés ainsi que
des entrevues d'Inuits de la région partageant leurs expériences.
Une façon de réconcilier le savoir scientifique
et la mémoire orale.
PASCALE GUÉRICOLAS
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