Far West Forever
De tout temps, les États-Unis auraient
eu un penchant pour l'agression
«Comme on peut le voir en Irak, une logique de domination
politique et policière du monde est très difficile
aux États-Unis, indique le sociologue français
Denis Duclos. L'hypothèse que je propose est que les causes
de ces difficultés sont liées à la nature
même de la culture américaine.» Selon lui,
cette culture serait davantage tournée vers l'agression
que vers la conciliation sociale. Il en veut notamment pour preuve
le «culte» des armes dans ce pays qui fait que chaque
année plus de 10 000 citoyens tombent sous les balles
de leurs agresseurs.
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
collaborateur au journal Le Monde diplomatique, Denis
Duclos a publié quelques essais à ce jour, dont
Le complexe du loup-garou, la fascination de la violence dans
la culture américaine (Pocket Agora,1998). Le mercredi
4 février, il a donné une conférence au
pavillon Charles-De Koninck. L'événement était
organisé par le Département de sociologie de l'Université
Laval en collaboration avec le comité d'activités
de la revue Aspects sociologiques.
Une société qui n'en est pas une?
Le phénomène de la violence aux États-Unis,
écrivait Denis Duclos dans un article récent du
Monde diplomatique, pourrait s'expliquer par le fait que
la conception de la vie en société dans ce pays
serait une négation de la notion même de société.
Dans sa conférence, il est même allé jusqu'à
demander si les USA constituaient une société.
«Ce pays est le seul au monde sans nom collectif, explique-t-il.
Il est impossible de se dire «étasunien»,
un mot qui empêche l'identité parce qu'il réfère
à une notion abstraite qui est le fait d'unir des États.»
Pour le conférencier, il est clair que ce manque reflète
une tendance profonde chez les Américains à revendiquer
des formes minimales de solidarité. «Cette tendance
s'appuie sur les mythes nordiques, souligne Denis Duclos. Ces
mythes mettent en valeur l'individu capable de menacer la société
par sa propre différence de désir et d'action.
En retour, la société contrôle ces potentialités
de l'individu par un fonctionnement mécanique, organisationnel,
disciplinaire.» Dans Le monde diplomatique, le conférencier
écrivait que la culture américaine, celle d'hier
comme celle d'aujourd'hui, se définit comme un affrontement
continuel entre les individus, les groupes, les Églises,
les États, les droits et les conceptions civiques.
Extermination de millions d'Amérindiens, guerre civile
et apartheid officiel jusqu'aux années 1960, assassinat
du président Kennedy, interventions militaires nombreuses
à l'étranger depuis la guerre de Corée,
meurtriers en série et milices de patriotes, la violence,
à travers l'histoire américaine, a pris de nombreux
visages. Les gangs d'immigrants sont une autre facette du phénomène.
«Dès les années 1840, soit bien avant l'immigration
italienne, le pays a accueilli des immigrants qui avaient tendance
à se refermer sur eux-mêmes et à se rassembler
pour assurer par la violence l'hégémonie d'un clan
sur les autres, explique Denis Duclos. D'ailleurs, que l'immigration
soit forcée ou non, n'y a-t-il pas quelque chose de profondément
traumatique, lié à de la haine, dans le fait d'immigrer?
L'immigrant est coincé entre la haine du pays qui ne veut
plus de lui et celle du pays qui l'accepte difficilement.»
En matière d'individualisme outrancier, donc bien loin
de la solidarité sociale, l'exemple, ici, vient de haut.
Denis Duclos rappelle que le président Thomas Jefferson,
il y a deux siècles, considérait l'État
comme «un monstre immonde par nature» et qu'il éprouvait
de la haine pour tout ce que l'État représentait.
Plus près de nous, l'administration Bush s'est désolidarisée
d'une partie importante de la population américaine en
réduisant de 86 % le programme communautaire d'accès
aux soins destiné aux personnes sans assurance médicale.
Dans le dossier de l'environnement, elle s'est désolidarisée
de la communauté internationale en refusant de signer
le Protocole de Kyoto sur l'effet de serre.
YVON LAROSE
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